Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/195

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

née. Je fis, à dix-neuf ans, une tragédie[1] d’aprés Sophocle, dans laquelle il n’y a pas même d’amour. Je commençai, à vingt ans, un poëme épique[2] dont le sujet est la vertu qui triomphe des hommes et qui se soumet à Dieu. J’ai passé mon temps dans l’obscurité à étudier un peu de physique, à rassembler des mémoires pour l’histoire de l’esprit humain[3], pour celle d’un siècle[4] dans lequel l’esprit humain s’est perfectionné. J’y travaille tous les jours, sinon avec succès, au moins avec une assiduité que m’inspire l’amour de la patrie.

Voilà peut-être, monsieur, ce qui a pu m’attirer, de la part de quelques-uns de vos confrères, des politesses qui auraient pu m’encourager à demander d’être admis dans un corps qui fait la gloire de ce même siècle dont j’écris l’histoire. On m’a flatté que l’Académie trouverait même quelque grandeur à remplacer un cardinal[5], qui fut un temps l’arbitre de l’Europe, par un simple citoyen qui n’a pour lui que ses études et son zèle.

Mes sentiments véritables sur ce qui peut regarder l’État et la religion, tout inutiles qu’ils sont, étaient bien connus en dernier lieu de feu M. le cardinal de Fleury. Il m’a fait l’honneur de m’écrire, dans les derniers temps de sa vie, vingt lettres qui prouvent assez que le fond de mon cœur ne lui déplaisait pas. Il a daigné faire passer jusqu’au roi même un peu de cette bonté dont il m’honorait. Ces raisons seraient mon excuse, si j’osais demander dans la république des lettres la place de ce sage ministre.

Le désir de donner de justes louanges au père de la religion et de l’État m’aurait peut-être fermé les yeux sur mon incapacité ; j’aurais fait voir, au moins, combien j’aime cette religion qu’il a soutenue, et quel est mon zèle pour le roi qu’il a élevé. Ce serait ma réponse aux accusations cruelles que j’ai essuyées ce serait une barrière contre elles, un hommage solennel rendu à des vérités que j’adore, et un gage de ma soumission aux sentiments de ceux qui nous préparent dans le dauphin[6] un prince digne de son père.

  1. Œdipe.
  2. La Henriade.
  3. L’Essai sur les Mœurs et l’Esprit des nations.
  4. Le Siècle de Louis XIV.
  5. Fleury.
  6. Louis, né le 4 septembre 1729, père des rois Louis XVI, Louis XVIII, et Charles X.