Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/214

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bonne, et elle est bien justifiée de jour en jour. Votre Majesté est avec moi une coquette bien séduisante ; elle me donne assez de faveurs pour me faire mourir d’envie d’avoir les dernières. Quel temps plus convenable pourrais-je prendre pour aller passer quelques jours auprès de mon héros[1] ? il a serré tous ses tonnerres, et il badine avec sa lyre ici, on ne badine point, et s’il tonne, c’est sur nous. Ce vilain Mirepoix est aussi dur, aussi fanatique, aussi impérieux, que le cardinal de Fleury était doux, accommodant, et poli. Ô qu’il fera regretter ce bon homme ! et que le précepteur de notre dauphin est loin du précepteur de notre roi ! Le choix que Sa Majesté a fait de lui est le seul qui ait affligé notre nation ; tous nos autres ministres sont aimés ; le roi l’est ; il s’applique, il travaille, il est juste, et il aime de tout son cœur la plus aimable femme[2] du monde. Il n’y a que Mirepoix qui obscurcisse la sérénité du ciel de Versailles et de Paris ; il répand un nuage bien sombre sur les belles-lettres ; on est au désespoir de voir Boyer à la place des Fénelon et des Bossuet ; il est né persécuteur. Je ne sais par quelle fatalité tout moine qui a fait fortune à la cour a toujours été aussi cruel qu’ambitieux. Le premier bénéfice qu’il a eu après la mort du cardinal vaut près de quatre-vingt mille livres de rente ; le premier appartement qu’il a eu, à Paris, est celui de la reine, et tout le monde s’attend à voir, au premier jour, sa tête, que Votre Majesté appelle si bien une tête d’âne, ornée d’une calotte rouge apportée de Rome[3].

Il est vrai que ce n’est pas lui qui a fait Marie Alacoque[4] ; mais, sire, il n’est pas vrai non plus que j’aie écrit à l’auteur de Marie Alacoque la lettre qu’on s’est plu à faire courir sous mon nom. Je n’en ai écrit qu’une[5] a à l’évéque de Mirepoix, dans

  1. Voltaire allait partir, chargé d’une mission diplomatique auprès de Frédéric. Il s’agissait de ramener le roi de Prusse à la France. On fit courir le bruit que le poëte s’éloignait pour échapper aux persécutions de Boyer. (G. A.)
  2. La marquise de La Tournelle, créée duchesse de Châteauroux en mars 1774. Elle venait de succéder à la comtesse de Mailly, sa sœur aînée.
  3. Si Voltaire, pour aller en mission à Berlin, prenait le masque d’un persécuté, et si, tout à son rôle, il ne cessait d’insulter son persécuteur l’évêque de Mirepoix, Frédéric, lui, profita de ces injures de convention pour fermer toute retraite au poëte-diplomate et le conquérir à jamais par trahison. « Voici un morceau d’une lettre de Voltaire, écrivait Frédéric à un de ses familiers alors à Paris, que je vous prie de faire tenir à l’évêque de Mirepoix par un canal détourné… Mon intention est de brouiller Voltaire si bien en France qu’il ne lui reste de parti à prendre que celui de venir chez moi. » (G. A.)
  4. Voyez tome XVII, page 7.
  5. La lettre 1562.