yeux soient en meilleur état pour vous envoyer mon Prophète ; mais j’ai peur qu’il ne soit pas prophète dans mon pays[1]. Adieu ; je vous embrasse, songez à votre santé ; je sais mieux qu’un autre ce qu’il en coûte à la perdre. Adieu ; je suis à vous pour jamais avec tous les sentiments que vous me connaissez je veux dire nous. Mille tendres respects à Mme d’Argental.
Comment se porte mon cher ange gardien ? Je lui demande bien pardon de lui adresser, par monsieur son frère, un grimoire[2] de physique ; heureusement vous ne fatiguerez pas vos yeux à le lire. Je vous prie de le donner à M. de Mairan s’il en est content, il me fera plaisir de le lire à l’Académie. Je suis absolument de son sentiment, et il faut que j’en sois bien pour combattre l’opinion de Mme du Châtelet. Nous avons, elle et moi, de belles disputes dont M. de Mairan est la cause. Elle peut dire Multa passa sum propter eum[3]. Nous sommes ici tous deux une preuve qu’on peut fort bien disputer sans se haïr.
Le Prophète est tout prêt il ne demande qu’à partir pour être jugé par vous en dernier ressort. J’attends que vous ayez la bonté de m’ordonner par quelle voie vous voulez qu’il se rende à votre tribunal. Il n’est rien tel que de venir au monde à propos : la pièce, toute faible qu’elle est, vaut certainement mieux que l’Alcoran, et cependant elle n’aura pas le même succès. Il s’en faudra de beaucoup que je sois prophète dans mon pays ; mais, tant que vous aurez un peu d’amitié pour moi, je serai très-content de ma destinée et de celle des miens.
Vous êtes trop bon, mon cher monsieur ; j’ai reçu une lettre d’avis de M. Carrau qui m’annonce l’arrivée de deux caisses de pâtes d’Auvergne. M. du Châtelet n’est point ici mais Mme du