Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/275

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Et se vanta de son ouvrage.
Les Muses eurent du dépit ;
Elles formèrent votre esprit,
Et s’en vantèrent davantage.
Vous êtes, depuis ce beau jour,
Pour le reste de votre vie,
Le sujet de la jalousie
Et des Muses et de l’Amour.
Comment terminer cette affaire ?
Qui vous voit croit que les appas,
Sans esprit, suffiraient pour plaire ;
Qui vous entend ne pense pas
Que la beauté soit nécessaire.

J’avais bien raison, madame, de dire que Berlin est devenu Athènes[1] ; Votre Altesse royale contribue bien à la métamorphose. C’est le temps des jours glorieux et des beaux jours. C’est grand dommage que je n’aie pas à mon service ces trois cent mille hommes que je voulais pour vous enlever ; mais j’aurai plus de trois cent mille rivaux, si je montre votre lettre.

N’ayant donc point encore de troupes pour devenir votre sultan, je crois que je n’ai d’autre parti à prendre que de venir être votre esclave : ce sera la seconde place du monde. Je me flatte que Sa Majesté la reine mère ne s’offensera pas de ma déclaration ; elle y entre pour beaucoup. Je voudrais vivre à ses pieds comme aux vôtres. J’avoue que je suis trop amoureux de la vertu, du véritable esprit, des beaux-arts, de tout ce qui règne à votre cour, pour ne lui pas consacrer le reste de ma vie. Le roi sait à quel point j’ai toujours désiré de finir auprès de lui ma vie. Je lutte actuellement contre ma destinée pour venir enfin être toujours le témoin de ce que j’admire de trop loin. Croyez-moi, madame, on ne trompe point les princesses qu’on veut enlever ; mon unique objet est très-sérieusement d’être votre courtisan pour le reste de ma vie. Là où sont les dieux il faut que soient les sacrificateurs.

Je suis, avec beaucoup plus qu’un profond respect, de Votre Altesse royale, madame, le très-humble et très-obéissant serviteur.

Voltaire.
  1. Voyez la lettre au roi de Prusse, du 15 décembre 1740.