Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/318

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naires de la gloire et du devoir. Enfin il faut se résoudre à quelque chose dans cette besogne, où il y a peu d’honneur à acquérir, mais qui est très-importante pour moi. Je crois que le tout formera un très-beau spectacle ; mais, en conscience, il faut donner à Rameau le prologue, le premier divertissement, et celui des deux seconds qui vous déplaira le moins ; il aura bientôt le troisième. Je voudrais bien épargner à vos bontés ces volumes d’écritures, et vous consulter de vive voix ; mais le moyen que vous veniez à Cirey, ou que j’aille à Paris ! Vous aurez donc d’énormes paquets au lieu de fréquentes visites. Je baise mille fois le bout des ailes de mes anges gardiens, quoique je dispute contre eux. Je lutte comme Jacob[1], mais il adora l’ange après avoir lutté ; ainsi fais-je.


1668. — À M. LE MARQUIS D’ARGENSON,
à paris.
À Cirey, ce 8 ou 9 d’août. Dieu merci, je ne
sais pas comme je vis.

À propos, je suis un infâme paresseux. Ah ! que j’ai tort ! Que je vous demande pardon, monsieur ! Vous mariez un fils[2] que j’aime presque autant que son père. Vous écrivez sans cesse aux fermiers généraux, et moi, je ne vous écris point. Je disais toujours : J’écrirai demain, et demain je faisais une plate comédie ballet pour l’infante dauphine, et je me grondais, et puis j’étais honteux. Je le suis bien encore, mais je passe par-dessus tout cela. Pour Dieu ! faites-en autant, et aimez-moi toujours. Mais y a-t-il tant de compliments à vous faire de ce que vous êtes du conseil des finances ! Je vous en ferai, ou plutôt à la France, quand vous serez chancelier[3] : car je veux que vous le soyez pour me dépiquer. N’y manquez pas, je vous en conjure ; et le plus tôt sera le mieux.

Je vous avertis que je viendrai chercher bientôt la réponse à mon chiffon ; et, quand vous serez soûl des fermes et gabelles, et dixièmes, et autres grosses besognes, je vous lirai ma petite drôlerie pour l’infante, en présence du nouveau marié. Nous partons vers le 20 de ce mois.

  1. Genèse, ch. xxxii, 24, 31.
  2. M. de Paulmy, marié, en premières noces, à la fille d’un fermier général nommé Dangé.
  3. Le marquis d’Argenson fut nommé ministre des affaires étrangères, en novembre 1744, à la place d’Amelot de Chaillou, renvoyé sept mois auparanant.