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vie que me donnent vos beaux vers[1]. Mais, tant que je vivrai dans ce monde, mon cœur sera à vous. V.


1724. — À M. LE MARQUIS D’ARGENSON,
ministre des affaires étrangères.
Jeudi 13, à 11 heures du soir[2].

Ah ! le bel emploi pour votre historien ! Il y a trois cents ans que les rois de France[3] n’ont rien fait de si glorieux. Je suis fou de joie.

Bonsoir, monseigneur.


1725. — DE M. LE MARQUIS D’ARGENSON[4].

Monsieur l’historien, vous aurez dû apprendre dès mercredi au soir la nouvelle dont vous nous félicitez tant. Un page partit du champ de bataille, le mardi à deux heures et demie, pour porter les lettres. J’apprends qu’il arriva, le mercredi à cinq heures du soir, à Versailles. Ce fut un beau spectacle que de voir le roi et le dauphin écrire sur un tambour, entourés de vainqueurs et de vaincus, morts, mourants, et prisonniers. Voici des anecdotes que j’ai remarquées.

J’eus l’honneur de rencontrer le roi dimanche tout près du champ de bataille ; j’arrivai de Paris au quartier de Chin. J’appris que le roi était à la promenade ; je demandai un cheval, je joignis Sa Majesté près d’un lieu d’où l’on voyait le camp des ennemis. J’appris, pour la première fois, de Sa Majesté, de quoi il s’agissait tout à l’heure (à ce qu’on croyait. Jamais je n’ai vu d’homme si gai de cette aventure qu’était le maître. Nous discutâmes justement ce point historique que vous traitez en quatre lignes, quels de nos rois avaient gagné les dernières batailles royales. Je vous assure que le courage ne faisait point tort au jugement, ni le jugement à la mémoire. De là on alla coucher sur la paille. Il n’y a point de nuit de bal plus gaie ; jamais tant de bons mots. On dormit tout le temps qui ne fut pas coupé par des courriers, des grassins, et des aides de camp. Le roi chanta une chanson qui a beaucoup de couplets, et qui est fort drôle. Pour le dauphin, il

  1. Cideville avait composé des stances À M. de Voltaire, historiographe de France, Rouen, 1745, in-8o de 4 pages, et réimprimées dans le Mercure de 1745, juin, II, 186. Mais ou Cideville y a fait des changements et additions, ou la lettre est du 12 juin. (B.)
  2. Cette lettre fut écrite à la première nouvelle de la victoire de Fontenoy.
  3. On lit les Français, et non les rois de France, dans ce même billet cité par M. René d’Argenson. (CL.)
  4. Cette lettre, que je crois du dimanche 16 mai, et à laquelle Voltaire répondit le 20, m’a semblé mieux placée dans la Correspondance que dans le Commentaire historique, dont elle faisait partie. (B.)