Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/408

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tion la plus glorieuse du monde, et assurément contre vent et marée.

Conservez, monseigneur le duc, une vie si illustre et si chère. Ou je vous attendrai dans peu, ou j’irai vous faire ma cour à Londres. Je vous verrai faisant un roi, et rendant le vôtre l’arbitre de l’Europe. Tout cela serait fait si on avait pu partir le 25. Voilà à quoi tiennent les destinées des empires ! Mais la vôtre sera toujours d’être l’homme de votre siècle le plus brillant ; la mienne sera d’être, si je le peux, l’Homère de cet Achille qui a quitté Briséis pour aller renverser un trône. Triomphez, vivez, et honorez-moi quelquefois d’un regard dans la foule de vos admirateurs.


1773. — AU CARDINAL QUERINI.
À Paris, ce 25 octobre.

Il faudrait, monseigneur, vous écrire dans plus d’une langue si on voulait mériter votre correspondance ; je me sers de la française, que vous parlez si bien, pour remercier Votre Éminence de sa belle prose et de ses vers charmants. Je revenais de Fontainebleau, quand je reçus le paquet dont elle m’a honoré je m’en retournais à Paris avec Mme  la marquise du Châtelet, qui entend Virgile et vous, aussi bien que Newton. Nous lûmes ensemble votre excellente préface et la traduction que vous avez bien voulu faire du Poërne de Fontenoy. Je m’écriai :


Sic veneranda suis plaudebat Roma Quirinis ;
       Laus antiqua redit, Romaque surgit adhuc,
Non jam Marte ferox, dirisque superba triumphis ;
       Plus mulcere orbem quam domuisse fuit
.

La fièvre et les incommodités cruelles qui m’accablent ne m’ont pas permis d’aller plus loin, et m’empêchent actuellement de dire à Votre Éminence tout ce qu’elle m’inspire. Elle me cause bien du chagrin en me comblant de ses faveurs ; elle redouble la douleur que j’ai de n’avoir point vu l’Italie. Je ferais volontiers comme les Platon, qui allaient voir leurs maîtres en Égypte ; mais ces Platon avaient de la santé, et je n’en ai point. Permettez-moi, monseigneur, de vous envoyer une Dissertation[1]

  1. C’est la Dissertation qui, imprimée d’abord en italien sous le titre de Saggio intorno ai cambiamenti avvenuti sul globo della terra, 1746, in-12, fut traduite ensuite par Voltaire lui-même ; voyez tome XXIII, page 219.