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1835. — À M. BOURGEOIS[1].

Puisque vous travaillez, monsieur, à une bibliothèque poitevine, et que j’ai, dit-on, l’honneur de sortir d’une petite famille du Poitou, puisque me voilà tout Poitevin, par le titre d’académicien de la Rochelle dont je suis honoré[2], puisque enfin vous voulez bien parler de moi, il faut que vous soyez instruit de toutes mes faiblesses. Une qui m’est la plus ordinaire, et dont je vous fais ma confession, est de mettre dans un portefeuille les lettres que je reçois et de croire toujours que je répondrai demain : des études de différent genre, des voyages, des maladies, font que ce demain ne vient point, et quelquefois au bout d’un mois je finis

    table Académie impériale. J’ai toujours admiré la grande utilité qu’offrent au monde toutes ces nouvelles associations de savants qui ont en quelque sorte formé parmi elles une république depuis les frontières de l’Italie jusqu’aux confins de la Finlande. Tandis que les rois se combattent, les académies sont unies par le lien de la sagesse ; pendant qu’une cruelle ambition trouble tant de royaumes et dévaste tant de provinces, l’amour des arts unit intimement les Anglais, les Allemands, les Français et les Italiens, et en forme pour ainsi dire un peuple choisi.


    Mais je suis pénétré de respect surtout pour votre Académie impériale, qui est née avec l’empire de Pierre le Grand, et qui a été édifiée avec Saint-Pétersbourg, dans un lieu autrefois presque ignoré de l’Europe, où il n’y avait ni le vestige d’une ville, ni même un village. Ce grand législateur a créé tout cela de rien, et déjà votre société a mis au jour neuf volumes dans lesquels se trouvent beaucoup de choses qui peuvent instruire les plus instruits, attendu qu’en ce genre il n’a rien été publié dans les métropoles florissantes de plusieurs États anciens.

    J’attends avec la plus vive impatience le dixième volume que j’aurai un grand plaisir à réunir aux autres qui se trouvent dans la bibliothèque de Mme du Châtelet. Si ma santé me permet de me livrer de nouveau aux études que j’aime et que j’ai cultivées, je traduirai en latin une dissertation que j’ai récemment envoyée en anglais à la Société royale de Londres, en italien à l’Institut de Bologne ; academies illustres, qui, depuis plusieurs années, m’ont admis au nombre de leurs membres. Dans ce mémoire il s’agit d’anciennes pétrifications, monuments qui, comme on le dit, sont répandus sur toute la surface de la terre dont ils attestent les changements. Je vous l’enverrai comme à un homme célèbre et érudit, et je soumettrai mes idées au jugement de l’Académie. Au reste, je n’oublierai jamais l’honneur que m’a fait l’Académie ; je vous prie instamment d’informer vos confrères de mes sentiments de reconnaissance, de vénération, d’attachement, et d’amitié. Lorsque j’étais à Berlin, j’avais résolu de me rendre à la ville de Pierre le Grand, et d’y contempler les traces et les créations de ce grand homme, et surtout d’être témoin des éloges qui vous sont dus ainsi qu’à l’Académie ; mais ni ma santé ni le temps ne m’ont permis de jouir de ce plaisir. Maintenant j’éprouve une grande consolation en me considérant comme un de vos concitoyens.

    Adieu ; conservez-moi votre bienveillance et celle de l’Académie, qui embellissent mon existence.

  1. Même source que la lettre 1785.
  2. Inutile d’avertir le lecteur que la Rochelle n’est point dans le Poitou, mais dans l’Aunis. (H. B.)