Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/490

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Dans vous, dans mon prince elle vit[1]
Le seul homme qui réunit
Les dons d’Orphée et ceux d’Alcide ;
Doublement elle vous craignit,
Et, laissant son dard homicide,
S’enfuit au plus vite, et partit
Pour aller saisir la personne
De quelque pesant cardinal,
Ou pour achever, dans Lisbonne,
Le prêtre-roi[2] de Portugal.

Vraiment, sire, je ne vous dirais pas de ces bagatelles rimées, et je serais bien loin de plaisanter, si votre lettre, en me rassurant, ne m’avait inspiré de la gaieté. La Renommée, qui a toujours ses cent bouches ouvertes pour parler des rois, et qui en ouvre mille pour vous, avait dit ici que Votre Majesté était à l’extrémité, et qu’il y avait très-peu d’espérance. Cette mauvaise nouvelle, sire, vous aurait fait grand plaisir, si vous aviez vu comme elle fut reçue. Comptez qu’on fut consterné, et qu’on ne vous aurait pas plus regretté dans vos États. Vous auriez joui de toute votre re-

  1. Variante de l’édition de Kehl :
    Elle trembla quand elle vit
    Ce grand homme qui réunit
    Les dons d’Orphée et ceux d’Alcide.
    Doublement elle vous craignit ;
    Et, jetant son ciseau perfide,
    Chez ses sœurs elle s’en alla,
    Et pour vous le trio fila
    Une trame toute nouvelle,
    Brillante, dorée, immortelle,
    Et la même que pour Louis,
    Car vous êtes tous deux amis ;
    Tous deux vous forcez des murailles,
    Tous deux vous gagnez des batailles
    Contre les mêmes ennemis ;
    Vous régnez sur des cœurs soumis,
    L’un, à Berlin ; l’autre, à Versailles.
    Tous deux un jour… mais je finis ;
    Il est trop aisé de déplaire
    Quand on parle aux rois trop longtemps ;
    Comparer deux héros vivants
    N’est pas une petite affaire.
  2. Jean V. — Selon Voltaire, les fêtes de ce prince étaient des processions, et ses maîtresses des religieuses. On lit dans l’Histoire des confesseurs des empereurs, des rois, et d’autres princes, par M. Grégoire, ancien évêque de Blois, page 249, que Jean V « avait établi son sérail au couvent des religieuses d’Odivelas, à deux lieues de Lisbonne ; et, comme il avait éprouvé des attaques d’apoplexie qui pouvaient
    se renouveler d’une manière fâcheuse, quand il allait à Odivelas il était
    suivi d’un prêtre qui portait les saintes huiles pour l’administrer, en cas de besoin ». Les jésuites furent tout-puissants sous le règne de ce prince, mort en 1750. (Cl.)