Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/553

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jouit de tous les plaisirs, moi, pauvre fou, peut-être maudit de Dieu, je versifie. Passons à des sujets plus graves. Savez-vous bien que je me suis mis en colère contre vous, et cela tout de bon ? Comment pourrait-on ne point se fâcher ? car

Du plus bel esprit de la France,
Du poëte le plus brillant,
Je n’ai reçu, depuis un an,
Ni vers ni pièce d’éloquence.

C’est, dit-on, que Sémiramis
L’a retenu dans Babylone ;
Cette nouvelle Tisiphone
Fait-elle oublier des amis ?

Peut-être écrit-il de Louis
La campagne en exploits fameuse,
Où, vainqueur de ses ennemis,
Les bords orgueilleux de la Meuse
Arborèrent les fleurs de lis.

Jamais l’ouvrage ne dérange
Un esprit sublime et profond.
D’où vient donc ce silence étrange ?
On dirait qu’un beau jour Caron,
Inspiré par un mauvais ange,
Vous a transporté chez Pluton,
Dans ce manoir funeste et sombre
Où le sot vaut l’homme d’esprit,
D’où jamais ne sortit une ombre,
Où l’on n’aime, ne boit, ni rit.

Cependant un bruit court en ville,
De Paris l’on mande tout bas
Que Voltaire est à Lunéville
Mais quels contes ne fait-on pas ?
Un instant m’en rappelle mille.

Deux rois, dit-on, sont vos galants[1] :
L’un roi sans peuple et sans couronne,
L’autre si puissant qu’il en donne
À ses beaux-fils, à ses parents.

Au nombre des rois vos amants
J’en ajouterais un troisième ;
Mais la décence et le bon sens
M’ont empêché, depuis longtemps,
D’oser vous parler de moi-même.

Malgré ce silence, j’exciterai d’ici votre ardeur pour l’ouvrage. Je ne vous dirai point « Vaillant fils de Télamon, ranimez votre courage, aujour-

  1. Voyez page 566.