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d’hui que tous vos généreux compagnons sont hors de combat, et que le sort des Grecs dépend de votre bras[1] ; mais achevez l’Histoire de Louis le Grand ; et, ayant eu l’honneur de donner à la France un Virgile, ajoutez-y la gloire de lui donner un Arioste. »

Les nouvelles publiques m’ont mis de mauvaise humeur. Je trouve que, comme vous n’êtes point à Paris, vous seriez tout aussi bien à Berlin qu’à Lunéville. Si Mme  du Châtelet est une femme à composition, je lui propose de lui emprunter son Voltaire à gages. Nous avons ici un gros cyclope[2] de géomètre que nous lui engagerons contre le bel esprit ; mais qu’elle se détermine vite. Si elle souscrit au marché, il n’y a point de temps à perdre. Il ne reste plus qu’un œil à notre homme, et une courbe nouvelle, qu’il calcule à présent, pourrait le rendre aveugle tout à fait avant que notre marché fùt conclu. Faites-moi savoir sa réponse, et recevez en même temps de bonne part les profondes salutations que ma muse fait à votre puissant génie. Adieu.

Fédéric.

1931. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL[3].
Le 1er décembre.

Divins anges, je serai sous vos ailes à Noël. Mme  du Châtelet a envoyé trop de copies de la bagatelle de la Statue[4]. M. de Puisieux m’a remercié du Panégyrique de la paix avec la tendresse d’un père qui voit son enfant applaudi.

Je fais ce que je peux pour de Mouhy ; mais il est bien difficile de venir à bout de mon petit projet.

Je rapetasserai Sémiramis sous vos yeux ; je serai inspiré par vos conseils, qui sont mes guides, et par l’envie de vous plaire, qui est ma passion dominante.

Mais mes anges sont donc au diable ? Que deviendrai-je ? Je reprends Sémiramis en sous-œuvre ; je corrige partout, selon que le cœur me dicte spiritus fiat ubi vult. Malheureusement j’ai oublié tout net quelques changements que j’avais faits, et que je crois vous avoir envoyés.

Jouez-vous à la comète ? J’y joue tous les jours, mais je ne la sais pas.

  1. Iliade, chant XIII, vers 47-58.
  2. Ce géomètre borgne est Léonard Euler, l’un des plus grands hommes de notre siècle. Il est très-vrai qu’il ne se connaissait pas en vers français. ( K.)
  3. Éditeur, de Cayrol et François.
  4. Epître à M. le duc de Richelieu, à qui le sénat de Génes avait érigé une statue ; voyez tome X, page 353.