Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/6

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honorable pour son sexe et pour la France. Il est peut-être aussi honorable pour l’amitié d’aimer tous les gens qui ne sont pas de notre avis, et même de quitter pour son adversaire un roi qui me comble de bontés, et qui veut me fixer à sa cour par tout ce qui peut flatter le goût, l’intérêt, et l’ambition. Vous savez, mon cher ami, que je n’ai pas eu grand mérite à cela, et qu’un tel sacrifice n’a pas dû me coûter. Vous la connaissez vous savez si on a jamais joint à plus de lumières un cœur plus généreux, plus constant, et plus courageux dans l’amitié. Je crois que vous me mépriseriez bien si j’étais resté à Berlin. M. Gresset, qui probablement a des engagements plus légers, rompra sans doute[1] ses chaînes à Paris pour aller prendre celles d’un roi à qui on ne peut préférer que Mme  du Châtelet. J’ai bien dit à Sa Majesté prussienne que Gresset lui plairait plus que moi, mais que je n’étais jaloux ni comme auteur ni comme courtisan. Sa maison doit être comme celle d’Horace :

· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · est locus uni-
cuique suus.

(Lib. I, sat. ix, v. 51 et 52.)

Pour moi, il ne me manque à présent que mon cher Helvétius ne reviendra-t-il point sur les frontières ? N’aurai-je point encore le bonheur de le voir et de l’embrasser ?


1397. — À M. THIERIOT[2].
Bruxelles, 7 janvier 1741.

J’ai reçu deux lettres de vous en arrivant à Bruxelles, mon cher ami j’y vois votre inquiétude, mais je me flatte encore que le roi de Prusse aura pris lui-même déjà le soin de la calmer. Il n’oublie rien, et il se pique de faire lui seul les petites choses comme les grandes. Il a eu l’attention de donner huit cents francs à Dumolard en partant pour la Silésie, outre son voyage, qui a été payé d’avance par mes mains. Il m’a promis positivement, je vous le répète, une pension pour vous, et sans délai. M. de Keyserlingk y était présent. Regardez la pension comme une chose sûre. Je vous redis encore qu’il veut avoir seul tout l’honneur et tout le plaisir de faire ses grâces. Quand même vous attendriez quelques mois, ce que je ne crois point, n’en ayez pas moins de sécurité. Je n’ai fait que remplir mon devoir quand j’en ai parlé à Sa Majesté. Je n’ai pas eu le plus petit mérite son

  1. Gresset n’alla pas en Prusse.
  2. Pièces inédites de Voltaire,