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que pour les revoir et en rejeter une partie. Le critique n’en veut rien croire. Il soutient que Pascal aimait toutes ses idées, et qu’il n’en eût retranché aucune mais s’il savait que les éditeurs eux-mêmes en supprimèrent la moitié, il serait bien surpris. Il n’a qu’à voir celles que le Père Desmolets a recouvrées depuis quelques années, écrites de la main de Pascal même, il sera bien plus surpris encore. Elles sont imprimées dans le Recueil de Littérature[1].

Les hommes d’une imagination forte, comme Pascal, parlent avec une autorité despotique ; les ignorants et les faibles écoutent avec une admiration servile ; les bons esprits examinent.

Pascal croyait toujours, pendant les dernières années de sa vie, voir un abîme à côté de sa chaise faudrait-il pour cela que nous en imaginassions autant ? Pour moi, je vois aussi un abîme, mais c’est dans les choses qu’il a cru expliquer. Vous trouverez dans les Mélanges de Leibnitz que la mélancolie égara sur la fin la raison de Pascal il le dit même un peu durement. Il n’est pas étonnant, après tout, qu’un homme d’un tempérament délicat, d’une imagination triste, comme Pascal, soit, à force de mauvais régime, parvenu à déranger les organes de son cerveau. Cette maladie n’est ni plus surprenante ni plus humiliante que

  1. L’édition de 1743 contient de plus ce qui suit

    « En voici quelques-unes :

    « Selon les lumières naturelles, s’il y a un Dieu, il n’a ni parties, ni bornes, il n’a aucun rapport à nous. Nous sommes donc incapables de connaître ni ce qu’il est, ni s’il est. Croyez-vous en bonne foi, monsieur, que Pascal eut conservé ce s’il est ? Apparemment que le Père Hardouin avait eu cette pensée quand il mit Pascal dans sa ridicule liste des athées modernes.

    « Je ne me sentirais pas assez de force pour trouver dans la nature de quoi convaincre les athées. Mais Clarke, Locke, Wolff, et tant d’autres, ont eu cette force ; et assurément Pascal l’aurait eue.

    « Toutes les fois qu’une proposition est inconcevable, il ne faut pas la nier, mais examiner le contraire ; et, s’il est manifestement faux, on peut affirmer le contraire, tout incompréhensible qu’il est. Pascal avait oublié sa géométrie quand il faisait cet étrange raisonnement. Deux carrés font un cube ; deux cubes font un carré voilà deux propositions contraires, toutes deux également absurdes, etc.

    « Je veux vous faire voir une chose infinie et indivisible : c’est un point se mouvant partout d’une vitesse infinie, car il est en tous lieux et tout entier. Voilà qui est encore bien anti-mathématique il y a autant de fautes que de mots. Assurément de telles idées n’étaient pas faites pour être employées. Mon critique changera un peu d’avis s’il va à votre école. Il verra qu’il s’en faut bien qu’on doive croire aveuglément tout ce que Pascal a dit.

    « Il croyait toujours, etc. »

    Ce texte se retrouve encore dans une édition de 1746 des Œuvres de Voltaire, tome IV, page 229. Le texte actuel se lit dans l’édition de 1748 (B.)

    — Le Père Desmolets publia, en 1728, dans la seconde partie du tome V de la Continuation des mémoires de littérature et d’histoire, les pensées de Pascal qu’il avait recueillies.