Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/68

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cet homme m’en dit de très-grossières, selon la louable coutume des gens pour qui les rieurs ne sont pas. Il a été déterrer dans je ne sais quel journal je ne sais quelles Lettres[1] sur la nature de l’âme, que je n’ai jamais écrites, et qu’un libraire a toujours mises sous mon nom à bon compte, aussi bien que beaucoup d’autres choses que je ne lis point. Mais, puisque cet homme les lit, il devait voir qu’il est évident que ces Lettres sur la nature de l’âme ne sont point de moi, et qu’il y a des pages entières copiées mot à mot de ce que j’ai autrefois écrit sur Locke[2]. Il est clair qu’elles sont de quelqu’un qui m’a volé ; mais je ne vole point ainsi, quelque pauvre que je puisse être.

Mon docteur se tue à prouver que l’âme est spirituelle. Je veux croire que la sienne l’est ; mais, en vérité, ses raisonnements le sont fort peu. Il veut donner des soufflets à Locke sur ma joue, parce que Locke a dit que Dieu était assez puissant pour faire penser un élément de la matière. Plus je relis ce Locke, et plus je voudrais que tous ces messieurs l’étudiassent. Il me semble qu’il a fait comme Auguste, qui donna un édit de coercendo intra fines imperio. Locke a resserré l’empire de la science pour l’affermir. Qu’est-ce que l’âme ? Je n’en sais rien. Qu’est-ce que la matière ? Je n’en sais rien. Voilà Joseph-Godefroi Leibnitz qui a découvert que la matière est un assemblage de monades. Soit ; je ne le comprends pas, ni lui non plus. Eh bien ! mon âme sera une monade ; ne me voilà-t-il pas bien instruit ? Je vais vous prouver que vous êtes immortel, me dit mon docteur. Mais vraiment il me fera plaisir j’ai tout aussi grande envie que lui d’être immortel. Je n’ai fait la Henriade que pour cela ; mais mon homme se croit bien plus sûr de l’immortalité par ses arguments que moi par ma Henriade. Vanitas vanitatum et Metaphysica vanitas[3] !

Nous sommes faits pour compter, mesurer, peser : voilà ce qu’a fait Newton ; voilà ce que vous faites avec M. Musschenbroeck ; mais, pour les premiers principes des choses, nous n’en savons pas plus qu’Épistemon et maître Éditue[4].

  1. Les lettres 28e et 31e du tome II des Amusements littéraires, par La Barre de Beaumarchais, avaient été données comme étant de Voltaire. Ces deux lettres se composaient, toutefois sauf d’assez grandes différences, de ce qui forme la VIIIe section de l’article Âme ; voyez tome XVII, page 149.
  2. Dans la 13e des Lettres philosophiques ; voyez tome XXII, page 121.
  3. Salomon a dit dans l’Ecclésiaste, chapitre ie, verset 2 Vanitas vanitatum et omnia vanitas. Voltaire rapporte (voyez tome XXIII, page 194) que S’Gravesande lui répondit : Je suis bien fâché que vous ayez raison.
  4. Épistemon et Éditue sont les noms de personnages du Pantagruel : Épistemon signifie scientifique, savant ; Éditue, gardien d’un temple.