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Les philosophes, qui font des systèmes sur la secrète construction de l’univers, sont comme nos voyageurs qui vont à Constantinople, et qui parlent du sérail. Ils n’en ont vu que les dehors, et ils prétendent savoir ce que fait le sultan avec ses favorites.

Adieu, monsieur si quelqu’un voit un peu, c’est vous ; mais je tiens mon censeur aveugle. J’ai l’honneur de l’être aussi ; mais je suis un quinze-vingts de Paris, et lui un aveugle de province. Je ne suis pas assez aveugle pourtant pour ne pas voir tout votre mérite, et vous savez combien mon cœur est sensible à votre amitié.


1447. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Camp de Grottkau, 2 juin.

Vous qui possédez tous les arts,
Et surtout le talent de plaire ;
Vous qui pensez à nos housards,
En cueillant des fruits de Cythère,
Qui chantez Charles et Newton,
Et qui du giron d’Émilie
Aux beaux esprits donnez le ton,
Ainsi qu’à la philosophie ;
De ce camp, d’où maint peloton
S’exerce en tirant à l’envie,
De ma très-turbulente vie
Je vous fais un léger crayon.
 
Nous avons vu Césarion,
Le court Jordan qui l’accompagne,
Tenant en main son Cicéron,
Horace, Hippocrate, et Montagne ;
Nous avons vu des maréchaux,
Des beaux esprits et des héros,
Des bavards et des politiques,
Et des soldats très-impudiques ;
Nous avons vu dans nos travaux
Combats, escarmouches et siéges,
Mines, fougasses, et cent piéges,
Et moissonner dame Atropos,
Faisant rage de ses ciseaux
Parmi la cohue imbécile
Qui suit d’un pas fier et docile
Les traces de ses généraux.

Mais si j’avais vu davantage,
En serais-je plus fortuné ?
Qui pense et jouit à mon âge,
Qui de vous est endoctriné,