Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/77

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réponse, glisser une commémoration très-convenable de vos services et de vos besoins.

Vous me ferez plaisir de m’apprendre à quel point M. de Maupertuis est satisfait, et ce que Sa Majesté prussienne a ajouté à la manière distinguée dont elle l’a toujours traité. Vous pouvez me parler avec une liberté entière, et compter sur ma discrétion comme sur mon zèle.

Les vers qui regardent le roi de Prusse, et qui sont en manuscrit à quelques exemplaires de la Henriade, ne sont plus convenables[1] : ils n’étaient faits que pour un prince philosophe et pacifique, et non pour un roi philosophe et conquérant. Il ne me siérait plus de blâmer la guerre, en m’adressant à un jeune monarque qui la fait avec tant de gloire.

Vous savez d’ailleurs qu’il avait fait commencer une édition gravée de la Henriade. Je ne sais si les affaires importantes qui l’occupent lui permettront de continuer[2] à me faire cet honneur ; mais, soit qu’on la réimprime à Berlin, soit qu’on la grave en Angleterre, je ne pourrai me dispenser de changer cette dédicace d’une manière convenable au sujet et au temps.

À l’égard de ces additions et de ces corrections en vers et en prose que je vous ai envoyées, vous sentez bien qu’il ne faut jamais que cela passe en des mains profanes. Ce qui est bon pour deux ou trois personnes sensées ne l’est point pour le grand nombre. Je vous prie donc de ne vous en point dessaisir. Ce n’est pas que je pense qu’il y ait rien de dangereux dans ces petites additions ; mais, quelque circonspection que j’apporte dans ce que j’écris, on en peut toujours abuser. Je passerais pour coupable des mauvaises interprétations que la malignité fait trop aisément ; enfin je ne dois donner aucune prise. Je me crois d’autant plus obligé à une extrême retenue, que les obligations que j’ai à monsieur le cardinal m’imposent un nouveau devoir de les justifier par la conduite la plus mesurée. Je dois particulièrement ses bontés à Mme du Châtelet, dont il a senti tout le mérite dans les entretiens qu’il eut avec elle à Fontainebleau, et pour laquelle il a conservé la plus grande estime et les attentions les plus flatteuses. Tout cela redouble en moi l’envie de lui plaire et je vous avoue que quand on voit dans les pays

  1. Voyez, tome XXXV, la note de la page 251.
  2. Cette édition de la Henriade, dont Frédéric parle dans sa lettre du 16 mai 1739, et pour laquelle il composa la préface, en resta là, grâce aux occupations multipliées du conquérant de la Silésie, et, surtout, à sa très-stricte économie. (Cl.)