Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/110

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Vous accoutumerez le parterre à tout ce que vous voudrez ; des vers de la beauté des vôtres peuvent, par leur imposture, faire illusion sur le fond des choses. Je suis curieux de voir Oreste ; comment vous aurez remplacé Palamède[1], et de quelles autres beautés vous aurez enrichi cette tragédie ; si vous pensiez à moi, vous me feriez la galanterie de me l’envoyer. Je suis prévenu pour vous, il ne tient donc qu’à vous de recevoir mes applaudissements ; mais se soucie-t-on à Paris que des Vandales et des barbares sifflent ou battent des mains à Berlin ?

Cet Éloge de nos officiers tués à la guerre me rappelle une anecdote du feu czar. Pierre Ier se mêlait de pharmacie et de médecine ; il donnait des remèdes à ses courtisans malades, et, lorsqu’il avait expédié quelques boyards pour l’autre monde, il célébrait leurs obsèques avec magnificence, et honorait leur convoi funèbre de sa présence. Je me trouve, à l’égard de ces pauvres officiers, dans un cas à peu près semblable ; des raisons d’État m’obligèrent à les exposer à des dangers où ils ont péri ; pouvais-je faire moins que d’orner leurs tombeaux d’épitaphes simples et véritables ? Venez au moins corriger ce morceau plein de fautes, pour lequel je m’intéresse plus que pour tous mes autres ouvrages. Des affaires m’appellent en Prusse, au mois de juin ; mais, du 1er de juillet jusqu’au mois de septembre, je pourrai disposer de mon temps, je pourrai étudier aux pieds de Gamaliel[2], je pourrai


Vous admirer et vous entendre,
Et du grand art de Cicéron,
De Thucydide et de Maron,
M’instruire, et par vos soins apprendre
Le chemin du sacré vallon ;
Mais, pour y mériter un nom.
Du feu que votre esprit recèle
Daignez à ma froide raison
Communiquer une étincelle,
Et j’égalerai Crébillon.

Comment voulez-vous que je juge qui de vous ou de Mme d’Aiguillon a raison ? Si la duchesse produit le Testament politique du cardinal de Richelieu en original, il faudra bien l’en croire. Les grands hommes ne le sont ni tous les moments ni en toute chose. Un ministre rassemblera toutes ses forces, il emploiera toute la sagacité de son esprit dans une affaire qu’il juge importante, et il marquera beaucoup de négligence dans une autre qu’il croit médiocre. Si je me représente le cardinal de Richelieu rabaissant les grands du royaume, établissant solidement l’autorité royale, soutenant la gloire des Français contre des ennemis puissants et étrangers, étouffant des guerres intestines, détruisant le parti des calvinistes, et faisant élever une digue à travers la mer pour assiéger la Rochelle ; si je me représente cette âme ferme, occupée des plus grands projets, et capable des résolutions les plus hardies, le Testament politique me paraît trop puéril pour être

  1. Personnage de l’Électre de Crébillon, jouée en 1708.
  2. Voyez les Actes des apôtres, ch. v, v. 34.