Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/149

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L’esprit s’éteint, le temps l’accable,
Les sens languissent émoussés,
Comme des convives lassés
Qui sortent tristement de table ;
Mais le cœur est inépuisable,
Et c’est vous qui le remplissez.

Je ne suis à Compiègne, sire, que pour demander au plus grand roi du Midi la permission d’aller me mettre aux pieds du plus grand roi du Nord ; et les jours que je pourrai passer auprès de Frédéric le Grand seront les plus beaux de ma vie. Je pars de Compiègne après-demain. Je suis exact ; je compte les heures, elles seront longues de Compiègne à Sans-Souci. Il y a cent mille sots qui ont été à Rome[1] cette année ; s’ils avaient été des hommes, ils seraient venus voir vos miracles.


À Clèves, ce 2 juillet.

Sire, j’avais envoyé ma lettre à votre chancelier de Clèves, et j’arrive aussitôt qu’elle ; je la rouvre pour remercier encore Votre Majesté. Je suis arrivé me portant très-mal. En vérité, je vais à votre cour comme les malades de l’antiquité allaient au temple d’Esculape.


Ici j’acquiers un double grade ;
Je suis de Votre Majesté
Et le sujet et le malade.
Je fais la cour a la naïade
De ce beau lieu peu fréquenté ;
De son onde je bois rasade.
La nymphe, pleine de bonté,
À mes yeux a daigné paraître ;
Elle m’a dit : « Ce lieu champêtre
Pourrait te donner la santé ;
Mais vole auprès du roi mon maître :
Il donne l’immortalité. »

J’y vole, sire ; j’arriverai mort ou vif. Je pars d’ici le 5[2] ; mon misérable état, et plus encore mon carrosse cassé, me retiennent trois jours.

Je supplie Votre Majesté d’avoir la honte d’envoyer l’ordre pour le vorspann au commandant de Lipstadt, et de daigner me

  1. Pour le jubilé.
  2. Voltaire, parti de Compiègne le 28 juin 1750, et non le 25 juillet, quoiqu’il le dise dans la lettre 2102 à Mme Denis, arriva à Potsdam vers la mi-juillet. Ce fut à la fin de juin et au commencement de juillet qu’il visita les champs de bataille de Fontenoy, de Raucoux et de Laufeldt.