Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/148

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Ombragent votre jeune tête[1],
Grand homme, est-il donc bien honnête
De dépouiller mes cheveux blancs
De quelques feuilles négligées,
Que déjà l’Envie et le Temps
Ont, de leurs détestables dents,
Sur ma fête à demi rongées ?

Quel diable de Marc-Antonin !
Et quelle malice est la vôtre !
Égratignez-vous d’une main[2],
Lorsque vous protégez de l’autre ?
Croyez, s’il vous plaît, que mon cœur,
En dépit de mes onze lustres,
Sent encor la plus noble ardeur[3]
Pour le premier des rois illustres.
Bientôt nos beaux jours sont passés[4].

    Déjà l’Apolon de la france
    S’achemine à sa décadence,
    Venez briller à votre tour.
    Ellevez-vous s’il baisse encore :
    Ainsi le couchant d’un beau jour
    Promet une plus bêle aurore.

    Marmontel raconte, dans les Mémoires d’un père pour servir à l’instruction de ses enfants (vers la fin du VIe livre), qu’il était chez Voltaire lorsque Thieriot apporta à celui-ci l’Épître de Frédéric à Baculard d’Arnaud. Voltaire lut un moment en silence et d’un air de pitié, mais quand il en fut aux vers où Frédéric donne à entendre que Voltaire est à son couchant et d’Arnaud à son aurore, il se mit en fureur, et s’écria : « J’irai, oui, j’irai lui apprendre à se connaître en hommes ! » Dès ce moment son voyage à Berlin fut décidé.

    On peut croire que Frédéric avait adressé ces vers à d’Arnaud pour décider Voltaire à venir à Berlin, car il l’avertit, dans le dernier alinéa de la lettre 2079, que des hérétiques élèveront sûrement quelques autels à Baal si le dieu invisible ne se montre hientôt.

  1. Variante :


    S’accumulent sur votre tête,
    Grand prince, il n’est pas fort honnête…

    (Édit. de Kehl.)
  2. Variante :


    Vous égratignez d’une main,
    Lorsque vous caressez de l’autre.

    (Édit. de Kehl.)
  3. Variante :


    Conserve encore quelque ardeur,
    Et c’est pour les hommes illustres.

    (Édit. de Kehl.)
  4. Variante :


    L’esprit baisse ; mes sens glacés
    Cèdent au temps impitoyable.
    Comme des convives lassés
    D’avoir trop longtemps tenu table ;
    Mais mon cœur est inépuisable.

    (Édit. de Kehl.)