Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/191

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Ainsi je porte glorieusement les péchés de d’Arnaud et de Tinois ; mais malheureusement j’ai peur que les mauvais vers de Tinois, portés par la beauté du sujet, ne parviennent à Paris, et ne causent du scandale. J’ai grondé vivement le poëte ; et je vous prie, si cette sottise parvient dans le pays natal de ces fadaises, de détruire la calomnie : car, quoique les vers aient l’air à peu près d’être faits par un laquais, il y a d’honnêtes gens qui pourraient bien me les imputer, et cela n’est pas juste. Il faut que chacun jouisse de son bien. Franchement, il y aurait de la cruauté à m’imputer des vers scandaleux, à moi qui suis, à mon corps défendant, un exemple de sagesse dans ce pays-ci. Protestez donc, je vous en prie, dans le grand livre de Mme Doublet[1], contre les impertinents qui m’attribueraient ces impertinences. Je vous écris un peu moins sérieusement qu’à mon ordinaire ; c’est que je suis plus gai. Je vous reverrai bientôt, et je compte passer ma vie entre Frédéric, le modèle des rois, et vous, le modèle des hommes. On est à Paris en trois semaines, et on travaille chemin faisant ; on ne perd point son temps. Qu’est-ce que trois semaines dans une année ? Rien n’est plus sain que d’aller. Vous m’allez dire que c’est une chimère ; non, croyez tout d’un homme qui vous a sacrifié le pape[2].

Nous jouâmes avant-hier Rome sauvée ; le roi était encore en Silésie. Nous avions une compagnie choisie ; nous jouâmes pour nous réjouir. Il y a ici un ambassadeur anglais qui sait par cœur les Catilinaires. Ce n’est pas milord Tyrconnell, c’est l’envoyé[3] d’Angleterre. Il m’a fait de très-beaux vers anglais sur Rome sauvée ; il dit que c’est mon meilleur ouvrage. C’est une vraie pièce pour des ministres ; madame la chancelière[4] en est fort contente. Nos d’Aguesseaux aiment ici la comédie en réformant les lois. Adieu ; je suis un bavard ; je vous aime de tout mon cœur.


2129. — À M. G.-C. WALTHER.
À Berlin, ce 28 septembre 1750.

On m’a dit, monsieur, que l’on avait publié sous mon nom, dans les gazettes, des vers qu’un jeune Français a faits ici pour

  1. Voyez la note, tome XXXVI, page 158.
  2. Voltaire témoigna toujours un grand désir de voir l’Italie ; et il paraît que d’Argental l’avait détourné d’en faire le voyage. (B.)
  3. Charles Hanbury Williams, né en 1709, mort le 2 novembre 1759. Ses Œuvres en vers et en prose ont paru à Londres, en 1822, 3 vol. in-8o.
  4. Mme de Coccéji.