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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/200

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Potsdam. C’est une chose plaisante d’avoir trouvé un prince et une princesse de Prusse[1], tous deux de la taille de Mlle Gaussin, déclamant sans aucun accent et avec beaucoup de grâce. Mlle Gaussin est, à la vérité, supérieure à la princesse ; mais celle-ci a de grands yeux bleus qui ne laissent pas d’avoir leur mérite. Je me trouve ici en France. On ne parle que notre langue. L’allemand est pour les soldats et pour les chevaux ; il n’est nécessaire que pour la route. En qualité de bon patriote, je suis un peu flatté de voir ce petit hommage qu’on rend à notre patrie, à trois cents lieues de Paris. Je trouve des gens élevés à Königsberg qui savent mes vers par cœur, qui ne sont point jaloux, qui ne cherchent point à me faire des niches.

À l’égard de la vie que je mène auprès du roi, je ne vous en ferai point le détail ; c’est le paradis des philosophes ; cela est au-dessus de toute expression. C’est César, c’est Marc-Aurèle, c’est Julien, c’est quelquefois l’abbé de Chaulieu, avec qui on soupe ; c’est le charme de la retraite, c’est la liberté de la campagne, avec tous les petits agréments de la vie qu’un seigneur de château, qui est roi, peut procurer à ses très-humbles convives. Pardonnez-moi donc, mon cher Catilina, et croyez que quand je vous aurai parlé, vous me pardonnerez bien davantage. Dites à César[2] les choses les plus tendres. Gardez avec César un secret inviolable ; cela est de conséquence. Bonsoir ; je vous embrasse tendrement.


2139. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Potsdam, le 27 octobre.

Mon historiographie est donnée[3], mes anges ; Mme de Pompadour, qui me l’écrit, me mande en même temps que le roi a la bonté de me conserver une ancienne pension de deux mille livres. Je n’ai que des grâces à rendre. Le bien que je dis de ma patrie en sera moins suspect ; n’étant plus historiographe, je n’en serai que meilleur historien. Les éloges que le chambellan du roi de Prusse donnera au roi de France ne seront que la voix de la vérité. Mon cher et respectable ami, voici le temps où il ne faut plus faire que de la prose. Un vieux poète, un vieil amant, un vieux chanteur, et un vieux cheval, ne valent rien. Il vous

  1. Le prince Henri et la princesse Amélie.
  2. Lekain ; voyez la lettre 2105.
  3. À Duclos ; voyez lettres 1714 et 2141.