Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/213

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C’est une matière bien abjecte, bien peu intéressante ; et j’avais dédaigné jusqu’à présent de la traiter ; mais cet homme s’est rendu célèbre à la manière d’Érostrate ; il me force à rompre le silence et à vous le découvrir tout entier[1]. Il y a déjà lontemps que j’ai la plus mauvaise opinion de lui, outre que je le connaissais médiocre en talent et en esprit, supérieur en mensonge, en fatuité et folie, je savais que dans le temps qu’il recevait vos bienfaits il parlait d’une manière indigne de vous. Moitié par mépris pour le personnage, moitié par égard pour sa misère, j’avais négligé de vous en avertir. Enfin j’appris avec la plus grande surprise qu’un très-grand roi avait daigné l’appeler à sa cour. Le public ne fut pas moins étonné que moi[2]. Je ne pus m’empêcher de me réjouir de l’occasion qui vous en délivrait, et je n’eus garde de vous conseiller de vous opposer à ce voyage. Je ne prévoyais pas alors celui que vous méditiez, et qu’on vous éloignant des insectes qui fourmillent à Paris, vous en trouveriez un à Berlin, d’autant plus dangereux qu’on était persuadé d’un attachement qu’il vous devait à tant de titres. Depuis que vous êtes en Prusse, il n’y a sorte d’impertinence qu’il n’ait écrite sur votre compte, et il a couronné ses procédés par une lettre qui est un tissu de calomnies, de noirceur et d’ingratitude. Il a osé mander, à qui ? à Fréron, qu’après lui avoir fait composer une préface pour mettre à la tête de l’édition de Rouen, vous aviez jugé à propos d’y ajouter des choses si graves et d’une si grande importance, qu’il ne pouvait ni ne voulait les adopter, attendu qu’il était bon Français, et qu’il n’était pas dans l’intention de s’expatrier comme vous aviez fait. Cette affreuse calomnie est des plus lourdes et des plus maladroites, puisqu’elle est démentie par la préface que plusieurs personnes ont vue, et que d’autres verront encore. Cependant vous ne sauriez imaginer le bruit que cette histoire a fait. Après s’être répandue dans les cafés et autres tripots, elle a pénétré dans les honnêtes maisons. Fréron a fait trophée de la lettre de ce misérable, et s’en allait la publiant sur les toits. Il est vrai qu’il en a reçu une seconde dans laquelle Baculard, touché de repentir et non de remords, lui a mandé de ne plus montrer la première, et que la préface de l’édition était l’ouvrage du libraire. Il joint à cet article toutes les impertinences les plus folles, disant que les reines se l’arrachent, qu’il est las de souper avec elles, qu’il les refuse le plus souvent, et qu’il va se servir de sa grande faveur pour être le protecteur des lettres, des arts, et de ceux qui les cultivent. Au moyen de cette seconde lettre, Fréron n’a pas voulu donner de copie de la première, de

    I, 320, d’après une copie qu’il tenait de Voltaire. Formey dit que cette lettre était faite par Voltaire. Cela n’est pas prouvé. Ce qui est certain, c’est que Voltaire en accusa réception le 8 décembre (voyez page 209). La lettre de d’Argental a été réimprimée en 1826, à la suite des Mémoires de Longchamp et Wagnière, tome II, page 514. (B.)

  1. Tout donne à penser que d’Argental ne faisait que transcrire les notes envoyées par Voltaire. Ne trouve-t-on pas jusqu’au style de Voltaire dans ce début ? (Desn.)
  2. La phrase qu’on vient de lire ne se trouve que dans les Souvenirs de Formey.