Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/214

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manière qu’il est impossible de l’avoir. Mais ce que je vous ai dit est conforme à la plus exacte vérité, et d’après le témoignage de gens non suspects, très-dignes de foi, qui ont vu, tenu et lu la lettre. Je ne doute pas que le roi de Prusse n’ait déjà fait justice de ce malheureux, et je vous avoue que je vous blâmerais extrêmement de demander sa grâce : ce serait une générosité de votre part trop contraire à la justice et à ce que vous devez au roi de Prusse, qu’il ne vous est pas permis de laisser plus longtemps dans l’erreur. C’est par une très-grande méprise qu’il l’a fait venir, et il ne peut assez tôt le renvoyer avec toute l’ignominie que la noirceur de son procédé mérite.

Adieu, mon cher ami ; j’ai à peine l’espace de vous embrasser.

d’Argental.

2151. — DE M. LE MARQUIS D’ADHÉMAR.
À Paris, le 25 de novembre 1750.

J’avais été instruit dans le temps, monsieur, de l’ingratitude et de l’insolence du petit d’Arnaud envers vous, et j’en avais marqué mon indignation. Je priai même M. d’Argental de remonter à l’origine de la lettre à Fréron, et d’en prendre copie. Cette lettre était lus de tout le monde, et se débitait d’une manière si désavantageuse que je voulus voir la préface dont on se plaignait, et qu’on accusait d’être tronquée. Elle me parut aussi simple que je pouvais le désirer, et je n’y trouvai à redire que le nom de l’auteur et son style. Enfin, monsieur, je ne doute point que le grand roi que vous servez ne vous rende promptement justice. On est heureux d’avoir à défendre la vérité devant le monarque qui l’éclairé et qui la protège.

Cependant, malgré cette assurance, je vous exhorte encore, monsieur, au plus grand courage. Les grandes réputations et la parfaite tranquillité ne vont guère de compagnie.

Mais, pour revenir à notre petit homme, on me dit dans le moment qu’il vient d’écrire une nouvelle lettre à Fréron, où il assure que tout est raccommodé. Au nom de Dieu, monsieur, en soutenant les vrais talents, gardez-vous de ces lourds frelons : ils ne se souviennent de ce qu’ils vous doivent que pour en punir leur bienfaiteur. Je me rappelle à ce propos qu’une personne[1] me disait, un jour, qu’étant placé à l’amphithéâtre auprès de l’abbé Desfontaines et de d’Arnaud, il entendit le premier reprocher à l’autre quelque attachement pour vous. « Mais, monsieur, répondit d’Arnaud, vous ne faites pas attention qu’il m’oblige, et que je lui dois de la reconnaissance. — Eh bien, reprit l’abbé, on peut prendre de lui lorsqu’on a des besoins ; mais il faut en dire du mal. »

Vous voyez que l’homme s’est souvenu de la morale, et qu’il n’a pas tardé de la mettre en pratique.

Adieu, monsieur ; méprisez cette vile engeance, et tâchez de vous armer

  1. M. Dutertre.