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qu’au printemps ; j’irai dans quelques jours, dès que la lie du procès sera bue et que tout sera fini. Voilà la grâce que je supplie Votre Majesté de daigner faire à un homme qui voudrait passer à vos pieds le peu de jours qui lui restent.

J’avais, sire, minuté cette lettre, pour la transcrire d’une manière plus respectueuse ; mais mes souffrances ne me permettent pas de la recommencer, et j’espère que Votre Majesté aura assez de compassion de mon accablement pour daigner recevoir ma lettre avec bonté, dans l’état où je la lui présente, avec le plus profond respect et le plus tendre attachement.


2183. — À M. DARGET.
À Berlin, ce 30 janvier, à minuit, 1751.

Mon cher ami, je vous avertis que j’ai du courage contre les neiges, et que j’en ferai des pelotes pour jeter au nez de la Nature et de la Fortune. D’ailleurs, le feu de Prométhée, qui brûle dans la chambre du roi, m’enverra des étincelles au Marquisat, Je ne fais plus de vers ; je suis dans la prose du Siècle de Louis XIV jusqu’au cou, et j’ai besoin des vers d’un grand homme pour me réchauffer. Vous m’avez mandé que je pouvais, avec la permission du roi, aller m’établir dans cette solitude. Il n’y a qu’une seule chose que je demanderai à votre amitié : c’est d’envoyer un laquais chez la concierge du marquis de Menton. Ce n’est pas vraiment dans le corps du logis du jardin, sur la rivière, que je veux demeurer ; c’est dans le poulailler. Il ne s’agit que de savoir s’il y a une chambre à cheminée, et une avec un poêle ; s’il y avait de quoi me faire rôtir une oie, et de quoi mettre de là viande dans un pot : la concierge me fera de bon potage. J’ai un peu de vaisselle d’argent, un peu de linge, des tables, des fauteuils, et des lits ; avec cela on peut se mettre dans sa chartreuse. M. de Fredersdorf pourra bien m’envoyer un carrosse pour venir à Potsdam ; d’ailleurs j’aurai dans peu quatre chevaux. Ainsi ne blâmez plus mon goût, mais ayez la bonté de le favoriser. Je serai aux ordres du roi, s’il veut quelquefois d’un homme qui ne s’est expatrié que pour lui ; et si la maladie cruelle qui me ronge ne me permet pas des soupers, elle me pourra permettre de le voir et de l’entendre dans les moments où il voudra continuer à me confier les fruits de cette raison qu’il habille des livrées de l’imagination. Puisqu’il est le Salomon du Nord, il est juste qu’on passe par-dessus les neiges pour l’aller entendre.