Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/249

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tenez lieu de tout sur la terre, qui a renoncé à tout pour vous entendre et pour vous lire, que son cœur seul a conduit à vos pieds, qui n’a jamais dit un seul mot qui pût blesser personne, et qui, malgré ce qu’il a essuyé, ne se plaindra de personne ? Pourquoi m’avait-on prédit ces persécutions, prédictions que vous avez lues[1], et que votre bonté me promit[2] de détourner et de rendre inutiles ? Pourquoi a-t-on forcé d’Argens de partir ? Pourquoi m’a-t-on accablé si cruellement ? Voilà, je vous le jure, un problème que je ne peux résoudre.

Ce procès que j’ai eu, que j’ai gagné dans tous ses points, n’ai-je pas tout tenté pour ne le point avoir ? On m’a forcé à le soutenir, sans quoi j’étais volé de treize mille écus ; tandis que je soutiens depuis huit mois, à Paris, la dépense d’une grosse maison, et que, par le désordre où j’ai laissé mes affaires, comptant passer deux mois à vos pieds, je souffre, depuis cinq mois, sans le dire, la saisie de tous mes revenus à Paris, Cependant on m’a fait passer auprès de Votre Majesté pour un homme bassement intéressé. Voilà pourquoi, sire, j’avais prié Darget de se jeter pour moi à vos pieds, et de vous supplier de supprimer ma pension[3] ; non pas assurément pour rejeter vos bienfaits, dont je suis pénétré, mais pour convaincre Votre Majesté qu’elle est mon unique objet. Suis-je venu chercher ici de l’éclat, de la grandeur, du crédit ? Je voulais vivre dans une solitude, et admirer quelquefois votre personne et vos ouvrages, travailler, souffrir patiemment les maux où la nature me condamne, et attendre doucement la mort. Voilà ce que je désire encore. Je ne serai pas plus solitaire auprès de Potsdam que dans votre palais de Berlin. Si Darget vous a parlé des prières que j’osais vous faire pour cet arrangement, je vous supplie, sire, de les oublier, et de me pardonner les propositions que j’avais hasardées. Je vivrai très-bien auprès de Potsdam, avec ce que Votre Majesté daigne m’accorder. J’y resterai, sous le bon plaisir de Votre Majesté, jusqu’au printemps, et alors j’irai faire un tour à Paris pour mettre un ordre certain pour jamais dans mes affaires. J’ose me flatter que l’assurance de ne pas déplaire à un grand homme pour qui seul je vis, je sens, et je pense, adoucira la maladie dont je suis tourmenté, laquelle demande du repos, et surtout la paix de l’âme ; sans quoi la vie est un supplice. Permettez-moi donc, sire, d’aller m’établir au Marquisat jus-

  1. Voyez la lettre à Mme  Denis, du 18 décembre 1752.
  2. Voyez la lettre de Frédéric du 23 août 1750.
  3. Voyez la lettre 2170.