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dans le cas de l’abbé de Villiers[1], qui avait fait un livre intitulé Réflexions sur les défauts d’autrui. Il alla au sermon d’un capucin ; le moine dit en nasillant à son auditoire : « Mes très-chers frères, j’avais dessein aujourd’hui de vous parler de l’enfer ; mais j’ai vu afficher à la porte de l’église : Réflexions sur les défauts d’autrui ; eh ! mon ami, que n’en fais-tu sur les tiens ! Je vous parlerai donc de l’orgueil. »

Envoyez-moi, ma chère enfant, cette édition de Paris[2] sitôt qu’elle sera achevée ; pour celle de Rouen, je ne veux pas seulement en entendre parler. Voilà trop de bâtards. Je voudrais déshériter toute cette famille-là. Ne croyez pas que je sois plus content de la famille des autres. On ne m’envoie de Paris que de plates niaiseries. Le bon n’a jamais été si rare. Il faut qu’il le soit, sans quoi il ne serait plus bon. Que de mauvais livres faits par des gens d’esprit !

Tout le monde a de l’esprit aujourd’hui, mon enfant, parce que le siècle passé a été le précepteur du nôtre ; mais le génie est un don de Dieu : c’est la grâce, c’est le partage du très-petit nombre des élus. Ne laissez pourtant pas de m’envoyer les rapsodies du jour ; elles amusent parce qu’elles sont nouvelles. Cela est honteux. Quelle pitié de quitter Virgile et Racine pour les feuilles volantes de nos jours ! Don Quichotte fit une infidélité d’un moment à Dulcinée pour Maritorne. Adieu, adieu ; quand je songe aux infidélités, je suis si honteux que je me tais.


2222. — À MADAME LA PRINCESSE ULRIQUE,
reine de suède.[3]
À Potsdam, ce 22 avril 1751.

Christine par l’esprit, Gustave par le cœur,
Régnez, embellissez, affermissez le trône ;
Le Russe en ses déserts en pâlit de terreur,
Minerve dans Berlin félicite Bellone,
Et toutes deux ont dit : Allons vers notre sœur,
Son empire est le nôtre, et c’est nous qu’on couronne.

Madame, permettez que parmi tant de voix qui applaudissent

  1. Pierre de Villiers, mort en 1728.
  2. 1754, onze volumes petit in-12. Voyez ce que, dans sa lettre du 15 avril 1752 (n° 2365), Voltaire dit de cette édition, d’où est tirée la variante de la page 415 du tome XXII.
  3. V. Advielle, éditeur. — Voltaire félicite par cette lettre la princesse Ulrique de son avènement au trône de Suède.