Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/351

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fait ma nouvelle édition, et à qui je l’ai promise ; c’est une parole à laquelle je ne peux manquer.

J’ai envoyé aussi l’ancienne Adelaïde, pour laquelle vous vous sentiez un peu de faible ; mais gardez-vous bien de la préférer à Rome. Croyez fermement, malgré le ton doucereux de notre théâtre, qu’une scène de César et de Catilina vaut mieux que toute Adélaïde. Je ne sais pas trop ce que Mme Denis a été faire à Fontainebleau avant qu’on donne Rome sauvée ; c’est après le succès (supposé que nous en ayons) qu’il fallait aller là. Je crains un peu cette entrevue pour le moment présent. On croit le Catilina de Crébillon un chef-d’œuvre ; il n’y a que le succès d’un bon ouvrage et le temps qui puissent détromper.

On dit que l’abbé de Bernis va être ambassadeur à Venise[1]. Je plains le procurateur de Saint-Marc s’il a une jolie femme.

Adieu, mes chers anges ; je baise toujours le petit bout de vos ailes. Aviez-vous entendu parler d’un médecin nommé La Mettrie, brave athée, gourmand célèbre, ennemi des médecins, jeune, vigoureux, brillant, regorgeant de santé ? Il va secourir milord Tyrconnell, qui se mourait ; notre Irlandais lui fait manger tout un pâté de faisan, et le malade tue son médecin. Astruc en rira, s’il peut rire.


2305. — À MADAME DENIS.
À Potsdam, le 14 novembre.

Protectrice de l’Alcoran[2], nous sommes tous ici malades, milord Tyrconnell empire, le comte de Rottembourg se meurt, Darget se plaint à Dieu et aux dames du col de sa vessie ; pour le major Chazot[3], qui a dû vous rendre une lettre, il s’était emmaillotté la tête, et avait feint une grosse maladie pour avoir permission d’aller à Paris. Il se porte bien, celui-là, et si bien qu’il ne reviendra plus. Il avait pris son parti depuis longtemps, mais notre fou de La Mettrie n’a point fait semblant ; il vient de prendre le parti de mourir. Notre médecin est crevé à la fleur de son âge, brillant, frais, alerte, respirant la santé et la joie, et se flattant d’enterrer tous ses malades et tous les médecins ; une indigestion l’a emporté.

Je ne reviens point de mon étonnement. Milord Tyrconnell

  1. Cette nouvelle était vraie.
  2. De Mahomet, dont elle avait obtenu la reprise.
  3. Voyez tome XXXVI, page 259.