sont rivaux et qui vivent en frères ; c’est ce que vous avez dit dans des vers admirables, et c’est un exemple que j’espère donner longtemps avec vous.
Votre véritable ami, etc.
Vous saurez, cher et respectable ami, que nous sommes à Cirey, et qu’il est fort triste de quitter des appartements délicieux, ses livres, sa liberté, pour aller jouer à la comète. Si je pouvais rester trois mois où je suis, vous auriez de moi, au bout de ce temps-là, d’étranges nouvelles[1].
Je vous prie d’ajouter à toutes vos bontés celle de me renvoyer une certaine Nanine, quand on ne la jouera plus. Le sieur Minet, homme fort dangereux en fait de manuscrits, et à qui je ne donnerais jamais ni pièces de vin ni pièces de théâtre à garder, doit remettre cette pauvre Nanine entre les mains de Mlle Gaussin, après la représentation ; et Mlle Gaussin doit la serrer et vous la rendre après son enterrement. Cela fait, je vous supplie de me l’envoyer à la cour de Lorraine, sous l’enveloppe de M. Alliot, conseiller aulique de Sa Majesté, etc.
Comment va la santé de Mme d’Argental ? Je crois qu’il fait assez chaud pour qu’elle soit à Auteuil. M. deChoiseul digère-t-il ? M. de Pont-de-Veyle est-il toujours gras à lard ? M, l’abbé de Chauvelin prend-il son lait tous les soirs chez vous ? J’aimerais mieux y être avec eux qu’à la cour des rois, où je vais aller avec Mme du Châtelet, J’ai tant fait parler ces messieurs-là en ma vie ! Tout ce que je leur fais dire et tout ce qu’ils disent ne vaut pas assurément le charme de votre société.
Adieu, mes chers anges ; le parfait bonheur serait d’être à la fois à Cirey et à Paris.
Votre muse à propos s’irrite
Contre ce vilain Bestucheff[2],
- ↑ Voltaire veut probablement parler de sa tragédie de Rome sauvée : voyez une note sur la lettre 1957.
- ↑ Alexis, comte de Bestucheff, né à Moscou on 1693 ; chancelier de l’impératrice Elisabeth, qu’il excitait sans cesse contre Frédéric.