Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/395

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France la permission tacite de prouver que Louis XIV était un grand homme. Franchement, cela est indigne. Il faut donc faire l’Histoire des mœurs du xviiie siècle ? Est-ce qu’il ne se trouvera pas quelque bonne âme qui fera rougir les pédants de la pédanterie, et les sots de leur sottise ? Est-ce qu’il n’y aura pas quelque voix qui criera : Parate vias Domini[1] ? Où est l’intrépide abbé de Chauvelin ? Tu dors, Brutus[2] ! Vous ne me dites rien, mon ange, de ces deux Chauvelin ; ils sont pourtant de l’ancienne république, ils aiment les lettres, ils aiment et disent la vérité, ils sont courageux comme de petits lions. Lâchez-les sur les sots.

Vous m’avez bien consolé, en me disant que Mlle Gaussin n’était plus fâchée contre moi. Dites-lui que cette nouvelle m’a fait plus de plaisir que le cinquième acte n’en a fait au parterre. J’aime tendrement Mlle Gaussin, malgré mes cheveux blancs et la turpitude de mon état.

Adieu, mon cher ange ; je ne croyais pas tant écrire ; je n’en peux plus. Mais qui eût dit que ce gros cochon de milord Tyrconnell, si frais, si fort, si vigoureux, serait à l’agonie avant moi ? C’est bien pis que d’avoir des tracasseries pour son Siècle. Ô vanité ! ô fumée ! Qu’est-ce que la vie ? Madame, morte à vingt-deux[3] ans ! Adieu, mon ange ; portez-vous bien, et aimez-moi, et écrivez-moi.


2346. — À M. LE MARECHAL DUC DE RICHELIEU.
À Potsdam, le 14 mars.

Mon héros, je suis fort en peine d’un gros paquet que j’eus l’honneur de vous envoyer par le courrier du cabinet, il y a environ deux mois. J’en chargeai Le Bailli, mon camarade, gentilhomme ordinaire du roi, qui a fait depuis six mois les affaires, pendant la maladie de milord Tyrconnell. Le ballot pesait environ dix livres, et contenait les volumes[4] que vous m’aviez demandés. Il y avait une grande lettre pour vous, et un paquet pour ma nièce, que je vous suppliais d’ordonner qu’il lui fût rendu. Pardon de la liberté grande[5]. Vous êtes informé sans doute, monseigneur, de la mort du comte de Tyrconnell. Il était

  1. Isaïe, xi, 3.
  2. Voyez, tome III, la Mort de César, acte II, scène ii.
  3. Elle était âgée de plus de vingt-quatre ans.
  4. Voyez la lettre 2324.
  5. Mémoires de Grammont, chap. iii ou ix.