Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/404

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C’est assurément la meilleure traduction qu’on ait jamais faite de cet auteur, mais elle n’est pas achevée. Il y a des lacunes à remplir, des fautes à corriger, des notes à réformer et à ajouter. Je me chargerai encore de cet ouvrage laborieux[1]. Envoyez-moi les quatre tomes du Virgile de l’abbé Desfontaines avec un Virgile variorum. Ce sera une édition d’un très-grand débit et un bon fonds de magasin pour vous : ce ne sont pas là des ouvrages à la mode.


2354. — À MADAME LA MARGRAVE DE BAIREUTH[2].
Berlin, 28 mars (1752).

Madame, frère malingre, frère hibou, frère griffonneur est plus que jamais aux pieds de Votre Altesse royale ; s’il lui écrivait aussi souvent qu’il pense à elle, Son Altesse royale aurait des lettres de lui cinq ou six fois par jour.

J’attends, madame, l’heureux temps où j’aurai assez de santé pour faire le voyage de Baireuth. Il semble que j’aie renoncé à celui de France et d’Italie, mais je me berce toujours de l’espérance de vous faire ma cour. Il fallait autrefois que les virtuoses allassent à Naples, à Florence, à Ferrare ; c’est maintenant à Baireuth qu’il faut appeler.

Si Votre Altesse royale a envie de faire représenter un nouvel opéra chez elle, qu’elle ne prenne pas Orphée, que le roi son frère vient de faire jouer. Jamais je n’ai vu un si sot Pluton et un Orphée si ennuyeux. Il y a toujours de beaux morceaux dans la musique de Graun, mais cette fois-ci le poëte l’avait subjugué. Le roi, qui s’y connaît bien, avait heureusement fait beaucoup de retranchements. Je disais à un vieux militaire qui bâillait à côté de moi, et qui n’entendait pas un mot d’italien : « En vérité, monsieur, le roi est le meilleur prince de la terre : il a plus que jamais pitié de son peuple. — Comment donc ? dit-il. — Oui, ajoutai-je, il a accourci cet opéra-ci de moitié ! » Je me flatte que Votre Altesse royale aura eu cet hiver de belles fêtes et de la santé. Mais, madame, songez à la santé surtout. C’est là ce qu’il faut vous souhaiter : la beauté, la grandeur, l’esprit, le don de plaire, tout est perdu quand on digère mal. C’est l’estomac qui fait les heureux.

Vraiment, madame, je sais plus de nouvelles de la Pucelle que

  1. Il ne paraît pas que ce projet ait eu des suites.
  2. Revue française, 1er février 1866 ; tome XIII, page 216.