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temps de la décadence est venu. Le xvie siècle était grossier, le dernier siècle a amené les talents, celui-ci a de l’esprit. Si par hasard il y avait quelqu’un aujourd’hui qui eût du génie, il faudrait le bien traiter.

Je vous supplie de faire souvenir de moi M. d’Argenson ; il ne doit pas oublier qu’il y a plus de quarante ans que je lui suis attaché. Le ministre peut l’oublier, mais l’homme doit s’en souvenir.

Je dicte tout ce que j’écris là, parce que je ne me porte pas trop bien. Je pense tout ce que je vous dis, mais-je ne vous dis pas la moitié de ce que je pense. Si je m’étendais sur mes sentiments pour vous, sur mon estime, sur mon attachement, je serais plus diffus que tous vos académiciens.

Adieu, monsieur ; si vous voyez M. le maréchal de Noailles, donnez-lui un petit coup d’aiguillon ; le Siècle et moi nous vous serons bien obligés.


2401. — À M. LE MARÉCHAL DE NOAILLES[1].
À Potsdam, le 28 juillet.

Monseigneur, vous me pardonnerez si je n’ai pas l’honneur de vous écrire de ma main ; je suis malade comme vous, et je souhaite bien sincèrement que votre maladie ait des suites moins fâcheuses que la mienne.

Je reçois avec la plus vive reconnaissance les deux morceaux précieux dont vous avez bien voulu me faire part : c’est un présent que vous faites à la nation, et c’est en partie la plus belle réponse qu’on puisse faire à la voix du préjugé qui s’est élevé si longtemps contre Louis XIV, dans toute l’Europe. J’oserai vous dire que le faible essai que j’ai donné n’a pas laissé, tout informe qu’il est, de détruire, même chez les Anglais, un peu de cette fausse opinion que cette nation, quelquefois aussi injuste que philosophe, avait conçue d’un roi respectable.

  1. Adrien-Maurice de Noailles, né à Paris le 29 septembre 1678. Connu d’abord sous le titre de comte d’Ayen, il prit celui de duc de Noailles au commencement de 1704, et fut créé maréchal de France le 14 juin 1734. Il mourut le 24 juin 1766, laissant deux fils, nommés maréchaux de France le 30 mars 1775. Le premier, Louis, duc de Noailles, est celui auquel est adressée une lettre du 30 mars 1777 dans la Correspondance : le second, Philippe de Noailles, connu sous la dénomination de duc de Mouchy dès 1746, a été guillotiné le 27 juin 1794. (Cl.) — Sur les Mémoires d’Ad.-M. de Noailles, voyez, tome XXX, le dernier des Articles extraits du Journal de politique et de littérature.