Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/520

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Les vertus ne sont qu’accidentelles et relatives à la société. L’amour-propre a donné le jour à la justice. Dans les premiers temps les hommes s’entre-déchiraient pour des bagatelles (comme ils font encore de nos jours) ; il n’y avait ni sûreté pour le domicile, ni sûreté pour la vie. Le tien et le mien, malheureuses distinctions (qu’on ne fait que trop de notre temps), bannissaient toute union. L’homme, éclairé par la raison, et poussé par l’amour-propre, s’aperçut enfin que la société ne pouvait subsister sans ordre. Deux sentiments attachés à son être, et innés en lui, le portèrent à devenir juste. La conscience ne fut qu’une suite de la justice. Les deux sentiments dont je veux parler sont l’aversion des peines et l’amour du plaisir.

Le trouble ne peut qu’enfanter la peine ; la tranquillité est mère du plaisir. Je me suis fait une étude particulière d’approfondir le cœur humain. Je juge, par ce que je vois, de ce qui a été. Mais je m’enfonce trop dans cette matière, et pourrais bien, comme Icare, me voir précipiter du haut des cieux. J’attends vos décisions avec impatience ; je les regarderai comme des oracles. Conduisez-moi dans le chemin de la vérité, et soyez persuadé qu’il n’y en a point de plus évidente que le désir que j’ai de vous prouver que je suis votre sincère amie.


Wilhelmine.

2457. — À M. ROQUES.
À Potsdam, le 17.

Je suis pénétré de reconnaissance de toutes les bontés que vous m’avez témoignées d’une manière si prévenante, sans me connaître ; il ne me reste qu’à les mériter. Je voudrais que la nouvelle édition du recueil de mes anciennes rêveries en prose et en vers, et celle du Siècle de Louis XIV, que mon libraire doit vous envoyer de ma part, pussent au moins être regardées de vous comme un gage de ma sensibilité pour tous vos soins obligeants. Quant à M. de La Beaumelle, je suis sûr que vous aurez la générosité de lui représenter le tort qu’il fait à ce pauvre Conrad Walther : c’est assurément le plus honnête homme de tous les libraires que j’aie rencontrés. Il s’est mis en frais pour la nouvelle édition du Siècle de Louis XIV ; il n’y a épargné aucun soin, et voilà que, pour fruit de ses peines, M. de La Beaumelle fait imprimer sous main une édition subreptice à Francfort, ville impériale, malgré le privilège de l’empereur, dont Walther est en possession. Il est libraire du roi de Pologne, il est protégé, il est résolu à attaquer M. de La Beaumelle par les formes juridiques. Cela va faire un événement qui certainement causerait beaucoup de chagrin à M. de La Beaumelle, et qui serait fort triste pour la littérature.