Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/79

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envoyé[1] après avoir lu la pièce. Ce n’est pas que je prétende captiver votre suffrage par le sien ; mais vous m’avouerez qu’il est singulier qu’un copiste ait senti si bien, et ait si bien écrit. M. de Pouilly pense comme le copiste ; mais je ne tiens rien sans vous. Ce M. de Pouilly, au reste, est peut-être l’homme de France qui a le plus le vrai goût de l’antiquité. Il adore Cicéron, et il trouve que je ne l’ai pas mal peint. C’est un homme que vous aimeriez bien que ce Pouilly : il a votre candeur, et il aime les belles-lettres comme vous. Il y avait ici un chanoine[2] qui, pour s’être connu en vin, avait gagné un million ; il a mis ce million en bienfaits, il vient de mourir. Mon Pouilly, qui est à Reims ce que vous devriez être à Paris, à la tête de la ville, a fait l’oraison funèbre de ce chanoine, qu’il doit prononcer. Je vous assure qu’il a raison d’aimer Cicéron, car il l’imite bien heureusement. Je pars, mes adorables anges, car, quoique je déteste Paris, je vous aime beaucoup plus que je ne hais cette grande, vilaine, turbulente, frivole, et injuste ville. Je me flatte de retrouver Mme  d’Argental dans une meilleure santé. C’est là l’idée qui m’occupe, et je vous assure que j’ai des remords de n’être pas venu plus tôt.

Adieu, vous tous qui composez une société si délicieuse.


  1. Ce sont les vers suivants, que nous imprimons sur le manuscrit original de M. Tinois :
    à m. de voltaire.
    Sur sa tragédie de Catilina.

    Enfin le vrai Catilina
    Sur notre scène va paraître ;
    Tout Paris dira : Le voilà ;
    Nul ne pourra le méconnaître.
    Ce scélérat par sa fierté,
    César par sa valeur altière,
    Cicéron par sa fermeté,
    Montreront leur vrai caractère ;
    Et, dans ce chef-d’œuvre nouveau,
    Chacun reconnaîtra, par les coups du pinceau.
    César, Catilina, Cicéron, et Voltaire.

    Par son très-humble et très-obéissant serviteur,
    Tinois, de Reims. (K.)

    — Tinois devint, peu après, secrétaire de Voltaire, qui le chassa à la fin de 1700 ; voyez la lettre 2168.
  2. Jean Godinot, né en 1671 à Reims, où il mourut le 15 avril 1749.