Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome39.djvu/174

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sans dessein ; du moins on n’a pas, jusqu’à présent, découvert la moindre apparence de complot. C’est un chien qui a gagné la rage de quelques chiens convulsionnaires et jansénistes qui aboyaient au hasard. Les jésuites triomphent de voir les rois assassinés par d’autres que par eux et par les jacobins. C’est à présent le tour des jansénistes. Que d’horreurs, madame, et que le meilleur des mondes possibles est affreux !

Quatre cent mille soldats vont donc inonder le nord de l’Allemagne ! Il faudra toute la prudence de Votre Altesse sérénissime pour que le contre-coup d’un choc si terrible ne se fasse pas sentir jusque dans vos États. Vous êtes au milieu des parties belligérantes ; puissiez-vous leur inspirer l’esprit de paix et de justice qui anime votre cœur ! Je fais, du fond de ma retraite, mille vœux pour toute votre auguste maison et pour Votre Altesse sérénissime, qui connaît mon profond respect et mon tendre attachement.


3300. — À M.  LE DUC D’UZÈS.
À Monrion, près de Lausanne, 28 janvier.

J’ai reçu, monsieur le duc, une lettre à un évêque, qui vaut beaucoup mieux que le bref du pape. Elle est digne à la fois du premier pair de France et d’un philosophe. Il y a des pairs parmi les évêques ; mais de philosophes, il y en a bien peu. Le plus détestable fanatisme lève hardiment la tête, tandis que la raison demeure à Uzès et dans quelques petits cantons. Les sages gémissent, et les insensés agissent. Il y a un certain grand arbre qui ne porte que des fruits d’amertume et de mort : il couvre encore de ses branches pourries une partie de l’Europe. Les pays où l’on a coupé ses rameaux empoisonnés sont les moins malheureux. Je vous remercie du fond de mon cœur, monsieur le duc, de l’antidote excellent que vous avez eu la bonté de m’envoyer. Qu’on parcoure l’histoire des assassins chrétiens, et elle est bien longue, on verra qu’ils ont eu tous la Bible dans leur poche avec leur poignard, et jamais Cicéron, Platon ni Virgile.

Plus j’entrevois ce qui se passe dans ce vilain monde, plus j’aime mes retraites allobroges et helvétiques.