Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome39.djvu/206

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joué Zaïre, l’Enfant prodigue, et d’autres pièces, aussi bien qu’on pourrait les représenter à Paris ; n’en soyez point surpris ; on ne parle, on ne connaît ici d’autre langue que la nôtre ; presque toutes les familles y sont françaises, et il y a ici autant d’esprit et de goût qu’en aucun lieu du monde.

On ne connaît ici ni cette plate et ridicule Histoire de la guerre de 1741, qu’on a imprimée à Paris sous mon nom, ni ce prétendu Portefeuille trouvé, où il n’y a pas trois morceaux de moi, ni cette infâme rapsodie, intitulée la Pucelle d’Orléans, remplie des vers les plus plats et les plus grossiers que l’ignorance et la stupidité aient jamais fabriqués, et des insolences les plus atroces que l’effronterie puisse mettre sur le papier.

Il faut avouer que depuis quelque temps on a fait à Paris des choses bien terribles avec la plume et le canif.

Je suis consolé d’être loin de mes amis, en me voyant loin de toutes ces énormités ; et je plains une nation aimable qui produit des monstres.


3341. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
Lausanne, 26 mars.

Madame, je pourrais bien avoir oublié de joindre dans mes lettres mes regrets à ceux de Votre Altesse sérénissime, sur la mort de M.  de Waldner. Vous ne devriez pas être étonnée qu’étant occupé de vous, madame, on fît moins d’attention aux autres objets ; mais c’est une erreur de ma plume, et non pas de mon cœur. Je suis touché sensiblement de tout ce qui intéresse Votre Altesse sérénissime, et j’avais eu assez longtemps l’honneur de connaître, à votre cour, M.  de Waldner, pour être affligé de sa perle. La sensibilité, madame, est le partage de votre auguste maison. Mme  la princesse de Galles sollicite vivement la grâce de l’amiral Byng, qui certainement ne mérite pas de perdre la vie, puisqu’il a été reconnu pour un brave officier et pour un bon citoyen, par la sentence même qui le condamne. Votre Altesse sérénissime aura peut-être vu, dans les gazettes, la lettre du maréchal de Richelieu, que j’avais envoyée à cet infortuné. Ce témoignage d’un ennemi et d’un vainqueur doit avoir quelque poids auprès de ceux qui aiment l’humanité et la justice, et j’ai cru remplir le devoir d’un honnête homme en publiant ce témoignage.

  1. Éditeurs, Bavoux et François.