Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome39.djvu/238

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Je respecte fort ces nouvelles, mais si le prince Charles de Lorraine avait battu les Prussiens, pourquoi m’écrit-on de Vienne, du 14 juin, qu’on est très-affligé qu’il soit sorti de Prague si tard et si inutilement ? Il y a bien des gens qui pensent que l’affaire du 19 juin[1] est très-peu de chose ; que les Prussiens, après avoir attaqué huit fois, se sont retirés en très-bon ordre ; qu’ils n’ont pas perdu un gros canon, et que les prétendus étendards menés à Vienne en triomphe ne sont que des enseignes de compagnies, chaque compagnie ayant la sienne.

Les Autrichiens sont si étonnés de s’être défendus, et d’avoir repoussé les Prussiens, qu’ils comptent ce premier avantage, inouï parmi eux, pour une grande victoire. Ce n’est point avoir vaincu que de ne pas poursuivre vivement son ennemi, et ne le pas chasser du pays qu’il usurpe. C’est seulement ne pas avoir été battu. Le temps nous apprendra si le succès du maréchal Daun aura les suites qu’il doit avoir. Je ne croirai les Autrichiens pleinement victorieux que quand ils rendront la Saxe à son maître, et qu’on fera le procès au marquis de Brandebourg dans Berlin, Je ne doute pas qu’il ne soit condamné, selon les lois de l’empire, s’il est malheureux, et qu’on ne donne l’électorat à son frère. Je tremble cependant pour les vaisseaux du marquis Roux. Quelque chose cependant qui arrive à ce marquis et à celui de Brandebourg, je songe à vous faire manger des pêches, à vous et à vos hoirs. Je vous fais cinq à six petits murs de refends dans votre potager. Mais aussi, il faut que vous m’accordiez votre protection auprès du portier des Chartreux, dont vous devez être bien connu. J’ai besoin de cent pieds d’arbres du clos de ces bons pères. Voyez, je vous prie, comment il faut s’y prendre. Il sera beau qu’un huguenot mange les fruits des moines.


3376. — À M. D’ALEMBERT.
6 juillet.

Voici encore ce que mon prêtre de Lausanne m’envoie. Un laïque de Paris qui écrirait ainsi risquerait le fagot ; mais si, par apostille, on certifie que les articles sont du premier prêtre[2] de

  1. La bataille de Kollin, à la suite de laquelle le loi de Prusse, battu par le maréchal Daun, et poursuivi par le prince Charles de Lorraine, recula sur la montagne des Géants, après avoir levé le siège de Prague, essaya vainement de défendre les défilés pour garder ses communications avec la Saxe et la Silésie, et fit sa retraite sur Bautzen et Gorlitz.
  2. Polier de Bottens.