Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome39.djvu/261

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chose qui arrive, il y a encore plus d’apparence que ce sera vous qui terminerez les aventures de la Saxe et du Brandebourg, comme vous avez terminé celles de Hanovre et de la Hesse. Vous courez la plus belle carrière où on puisse entrer en Europe ; et j’imagine que vous jouirez de la gloire d’avoir fait la guerre et la paix.

Il ne m’appartient pas de me mêler de politique, et j’y renonce comme aux chars des Assyriens ; mais je dois vous dire que, dans ma dernière lettre[1] à Mme  la margrave de Baireuth, je n’ai pu m’empêcher de lui laisser entrevoir combien je souhaite que vous joigniez la qualité d’arbitre à celle de général. Je me suis imaginé que, si l’on voulait tout remettre à la bonté et à la magnanimité du roi, il vaudrait mieux qu’on s’adressât à vous qu’à tout autre ; en un mot, j’ai hasardé cette idée sans la donner comme conjecture ni comme conseil, mais simplement comme un souhait qui ne peut compromettre ni ceux à qui on écrit, ni ceux dont on parle[2] ; et je vous en rends compte sans autre motif que celui de vous marquer mon zèle pour votre personne et pour votre gloire. Vous n’ignorez pas que Mme  de Baireuth a voulu déjà entamer une négociation qui n’a eu aucun succès ; mais ce qui n’a

  1. Voyez le troisième alinéa de la lettre 3394.
  2. L’idée de M.  de Voltaire fut adoptée, comme on le voit par les lettres suivantes ; et elle aurait épargné de très-grands malheurs à la France, si elle eût produit à la cour l’effet qu’on pouvait raisonnablement en attendre.

    Lettre de S.M. le roi de Prusse à M.  le maréchal de Richelieu
    À Rote, le 6 septembre 1757.

    Je sens, monsieur le duc, que l’on ne vous a pas mis dans le poste où vous êtes pour négocier ; je suis cependant très-persuadé que le neveu du grand cardinal de Richelieu est fait pour signer des traités comme pour gagner des batailles. Je m’adresse à vous par un effet de l’estime que vous inspirez à ceux qui ne vous connaissent pas même particulièrement. Il s’agit d’une bagatelle, monsieur : de faire la paix, si on le veut bien. J’ignore quelles sont vos instructions ; mais, dans la supposition qu’assuré de la rapidité de vos progrès le roi votre maître vous aura mis en état de travailler à la pacification de l’Allemagne, je vous adresse M.  Delchetet, dans lequel vous pouvez prendre une confiance entière. Quoique les événements de cette année ne devraient pas me faire espérer que votre cour conserve encore quelque disposition favorable pour mes intérêts, je ne puis cependant me persuader qu’une liaison, qui a duré seize années, n’ait pas laissé quelque trace dans les esprits : peut-être que je juge des autres par moi-même. Quoi qu’il en soit enfin, je préfère de confier mes intérêts au roi votre maître plutôt qu’à tout autre. Si vous n’avez, monsieur, aucune instruction relative aux propositions que je vous fais, je vous prie d’en demander, et de m’informer de leur teneur. Celui qui a mérité des statues à Gênes, celui qui a conquis l’ile de Minorque, malgré des obstacles immenses, celui qui est sur le point de subjuguer la basse Saxe, ne peut rien faire de plus glorieux que de travailler à rendre la