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3403. — À MADAME DE FONTAINE,
Aux Délices, 27 août.

Ma chère enfant, je vous avoue que je suis fâché de faire venir des tableaux et des glaces pour Lausanne ; j’aimerais mieux les placer à Hornoi ; mais me voilà Suisse pour le reste de ma vie. Mme  Denis a voulu une belle maison à Lausanne ; les Délices s’embellissent tous les jours. Nous jouons la comédie à Lausanne ; on nous la donne aux portes de Genève. On représenta hier Alzire, et, quand j’arrivai, tous les Genevois me reçurent avec battements de mains. Il n’y a pas moyen de quitter ces hérétiques-là. Quand, avec une mauvaise santé, on est parvenu à la septième dizaine de son âge, il ne faut plus songer qu’à mourir tranquille, et tous les lieux doivent être égaux.

Je n’ai point de messe en musique, comme La Popelinière ; je n’ai point un trio de complaisantes, mais je m’accommode assez de ma médiocrité ; on peut être heureux sans être roi ni fermier général.

Le bruit court, dans notre Suisse, que M.  le prince de Conti[1] veut faire revivre ses droits sur le comté de Neufchâtel. En effet, il était le légitime héritier, et c’est une province que le roi de Prusse pourrait perdre. Vos Français sont dans Hanovre ; j’espère qu’ils souperont à Berlin en 1758, au plus tard.


3404. — À MADAME LA MARGRAVE DE BAIREUTH[2].
Aux Délices, 29 août 1757.

Madame, j’ai été touché jusqu’aux larmes de la lettre dont Votre Altesse royale m’a honoré. Je vous demanderais la permission de venir me mettre à vos pieds, si je pouvais quitter cette nièce infortunée, et j’ose dire respectable, qui m’a suivi dans ma retraite, et qui a tout abandonné pour moi ; mais, dans mon obscurité, je n’ai pas perdu un moment de vue Votre Altesse royale et son auguste maison. Votre cœur généreux, madame, est à de rudes épreuves. Ce qui s’est passé en Suède, ce qui arrive en Allemagne, exerce votre sensibilité. Il est à présumer, madame, que l’orage ne s’étendra pas à vos États. Mais votre âme en ressent toutes les secousses, et c’est par le cœur seul que vous pouvez

  1. Louis-François de Bourbon, prince de Conti, mort en 1776.
  2. Revue française, mars 1866 tome XIII, page 361.