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m’a écrit, il y a un mois, pour Mlle  Hus, et mon respect pour le métier ne m’a pas permis de refuser. J’ai signé ; j’ai donné Nanine à cette Hus ; ce n’est pas ma faute : je ne suis qu’un pauvre Suisse mal instruit.

On me défigure à Paris ; mon Petit Carême est imprimé d’une manière scandaleuse. La jérémiade sur Lisbonne et la Loi naturelle sont deux pièces dignes de la primitive Église ; Satan en a fait les éditions. À qui dois-je m’adresser pour vous faire tenir mes sermons avec les notes ? Parlez donc, écrivez donc un petit mot. Quand vous n’auriez pas eu la bonté de mettre à la raison mon procureur, je ne laisserais pas de songer pour vous à quelque drame bien extraordinaire, bien tendre, bien touchant, si Dieu m’en donne la force et la grâce. Mais que faire ? comment faire ? et à quoi bon travailler pour des ingrats ? Moi Suisse ! moi fournir la cour et la ville ! Je prêche Dieu, et on dit au roi que je suis athée. Je prêche Confucius, et on lui dit que je ne vaux pas Crébillon. Le roi de Prusse ne m’a pas traité avec reconnaissance, et on imprime une Religion naturelle où je le loue[1] à tour de bras Comment soutenir tous ces contrastes ? Heureusement j’ai une jolie maison et de beaux jardins ; je suis libre, indépendant ; mais je ne digère point, et je suis loin de vous, et je mourrai probablement sans vous revoir.

On me mande que les Anglais sont à Port-Mahon. On me mande que nos affaires de Cadix[2] sont désespérées, et vous ne me dites pas comment va votre petit fait ; vous me ferez prendre les tragédies en horreur. Mme  Denis vous fait des compliments sans fin, et moi des remerciements et des reproches. Je vous embrasse. Je vous aime de tout mon cœur.


3146. — À M. BLANCHET.
Aux Délices, près de Genève, 3 avril.

Recevez, monsieur, mes très-sincères remerciements de l’ouvrage[3] ingénieux et profond que vous avez eu la bonté de m’en-

  1. La Harpe prétend que Voltaire, après ses brouilleries avec Frédéric, passa quelque temps chez la margrave de Baireuth : c’est une erreur ; il confond cette princesse avec la duchesse de Saxe-Gotha. Si Voltaire fût allé chez Wilhelmine après sa sortie de Potsdam, il n’eût pas dit à Frédéric, dans la lettre 2550 de (avril) 1753 : « Je suis au désespoir de n’être point allé à Baireuth. »
  2. Voyez les notes de la lettre 1889.
  3. Jean Blanchet, né à Tournon en 1724, mort à Paris en 1778, avait été jésuite, puis médecin. Il est auteur de l’Art du chant, 1755, in-12 ; nouvelle édition, 1756, in-12.