Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome39.djvu/28

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voyer. Il respire le goût et la connaissance des beaux-arts. Le physicien y conduit toujours le musicien, Un tel ouvrage ne pouvait être fait que dans le plus éclairé des siècles. Je souhaite qu’il forme des artistes dignes de vos leçons. Je n’en serai pas le témoin, mais j’applaudis de loin aux progrès de l’art dont on vous sera redevable.

J’ai l’honneur d’être, avec tous les sentiments d’estime, etc.


3147. — À M. L’ABBÈ DE CONDILLAC[1],
à paris.

Vous serez peut-être étonné, monsieur, que je vous fasse si tard des remerciements que je vous dois depuis si longtemps ; plus je les ai différés, et plus ils vous sont dus. Il m’a fallu passer une année entière au milieu des ouvriers et des historiens. Les ajustements de ma campagne, les événements contingents de ce monde, et je ne sais quel Orphelin de la Chine qui s’est venu jeter à la traverse, ne m’avaient pas permis de rentrer dans le labyrinthe de la métaphysique. Enfin j’ai trouvé le temps de vous lire avec l’attention que vous méritez. Je trouve que vous avez raison dans tout ce que j’entends, et je suis sûr que vous auriez raison encore dans les choses que j’entends le moins, et sur lesquelles j’aurais quelques petites difficultés. Il me semble que personne ne pense ni avec tant de profondeur ni avec tant de justesse que vous.

J’ose vous communiquer une idée que je crois utile au genre humain. Je connais de vous trois ouvrages : l’Essai sur l’origine des connaissances humaines[2], le Traite des Sensations, et celui des Animaux. Peut-être, quand vous fîtes le premier, ne songiez-vous pas à faire le second, et, quand vous travaillâtes au second, vous ne songiez pas au troisième. J’imagine que, depuis ce temps-là, il vous est venu quelquefois la pensée de rassembler en un corps les idées qui régnent dans ces trois volumes, et d’en faire un ouvrage méthodique et suivi qui contiendrait tout ce qu’il est permis aux hommes de savoir en métaphysique. Tantôt vous iriez plus loin que Locke, tantôt vous le combattriez, et souvent vous seriez de son avis. Il me semble qu’un tel livre

  1. Etienne Bonnot de Condillac, frère puîné de l’abbé de Mably, naquit à Grenoble le 30 septembre 1714, et mourut le 3 août 1780.
  2. Cet ouvrage parut en 1746 ; le Traité des Sensations vit le jour vers novembre 1754, et fut suivi, un an après, du Traité des Animaux.