Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome39.djvu/29

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manque à notre nation ; tous la rendriez vraiment philosophe : elle cherche à l’être, et vous ne pouvez mieux prendre votre temps.

Je crois que la campagne est plus propre pour le recueillement d esprit que le tumulte de Paris, Je n’ose vous offrir la mienne, je crains que l’éloignement ne vous fasse peur ; mais, après tout, il n’y a que quatre-vingts lieues en passant par Dijon. Je me chargerais d’arranger votre voyage : vous seriez le maître chez moi comme chez vous : je serais votre vieux disciple ; vous en auriez un plus jeune dans Mme  Denis, et nous verrions tous trois ensemble ce que c’est que l’âme. S’il y a quelqu’un capable d’inventer des lunettes pour découvrir cet être imperceptible, c’est assurément vous. Je sais que vous avez, physiquement parlant, les yeux du corps aussi faibles que ceux de votre esprit sont perçants. Vous ne manqueriez point ici de gens qui écriraient sous votre dictée. Nous sommes d’ailleurs près d’une ville où l’on trouve de tout, jusqu’à de bons métaphysiciens. M.  Tronchin n’est pas le seul homme rare qui soit dans Genève. Voilà bien des paroles pour un philosophe et pour un malade. Ma faiblesse m’empêche d’avoir l’honneur de vous écrire de ma main, mais elle n’ôte rien aux sentiments que vous m’inspirez. En un mot, si vous pouviez venir travailler dans ma retraite à un ouvrage qui vous immortaliserait, si j’avais l’avantage de vous posséder, J’ajouterais à votre livre un chapitre du bonheur. Je vous suis déjà attaché par la plus haute estime, et j’aurai l’honneur d’être toute ma vie, monsieur, etc.


3148. — À M.  BERTRAND[1].
Aux Délices, près de Genève, 6 avril 1756.

Me voilà toujours cloué à mes Délices, mon cher monsieur, en proie aux maladies et aux ouvriers. Je travaille à me défaire de tout cela pour venir rendre mes hommages à Berne. J’y viendrai lire le catéchisme dont vous me parlez, car en vérité je me sens un peu de votre religion, je suis indulgent comme vous, j’aime Dieu et le genre humain, et je ne damne personne. Ce n’est pas que l’auteur de la lettre anonyme n’ait fait une action damnable ou tout au moins condamnable : ce n’est point là du fanatisme tout

  1. Six Lettres inédites de Voltaire, brochure in-8° (sans lieu ni date) de M.  Cl. Perroud.