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résolution violente. Adieu ; souhaitez-moi la mort, c’est ce qui pourra m’arriver de plus heureux.


Wilhelmine.

3430. — DE FRÉDÉRICK II, ROI DE PRUSSE[1].
(Buttstedt) 9 octobre 1757.

Je suis homme, il suffit, et né pour la souffrance ;
Aux rigueurs du destin j’oppose ma constance.


Mais avec ces sentiments, je suis bien loin de condamner Caton et Othon ; le dernier n’a eu de beau moment en sa vie que celui de sa mort.


Croyez que si j’étais Voltaire,
Et particulier comme lui,
Me contentant du nécessaire,
Je verrais voltiger la fortune légère,
Et m’en moquerais aujourd’hui.
Je connais l’ennui des honneurs,
Le fardeau des devoirs, le jargon des flatteurs,
Ces misères de toute espèce,
Et ces détails de petitesse
Dont il faut s’occuper dans le sein des grandeurs.
Je méprise la vaine gloire,
Quoique poëte et souverain.
Quand du ciseau fatal, en tranchant mon destin,
Atropos m’aura vu plongé dans la nuit noire,
Qu’importe l’honneur incertain
De vivre après ma mort au temple dé Mémoire ?
Un instant de bonheur vaut mille ans dans l’histoire.
Nos destins sont-ils donc si beaux ?
Le doux plaisir et la mollesse,
La vive et naïve allégresse,
Ont toujours fui des grands la pompe et les travaux.
Ainsi la fortune volage
N’a jamais causé mes ennuis,
Soit qu’elle me flatte ou m’outrage,
Je dormirai toutes les nuits
En lui refusant mon hommage.
Mais notre état fait notre loi ;
Il nous oblige, il nous engage
À mesurer notre courage
Sur ce qu’exige notre emploi.
Voltaire dans son ermitage,
Dans un pays dont l’héritage
Est son antique bonne foi,
Peut s’adonner en paix à la vertu du sage,

  1. Il paraît que cette lettre fut longtemps en route ; Voltaire n’y répondit que le 13 novembre, vovez n° 3449.