Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome39.djvu/322

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toute mon estime ; et dites-lui que je persiste toujours dans mon système. »

Voilà les propres mots qu’on m’écrit du 23 novembre. Je supplie qu’on écrive en droiture, si cela se peut, sans hasarder que les lettres soient ouvertes sur la route. Il n’appartient qu’à la prudence de Son Éminence de conduire cette affaire très-épineuse, et de donner les conseils convenables dans des circonstances où l’on ménage avec une attention scrupuleuse d’autres puissances.

Je ne fais d’autre office que celui d’un grison[1] qui rend les lettres ; mais mon cœur s’acquitte d’un autre devoir auquel il s’attache uniquement : celui d’aimer son roi, sa patrie et le bien public, de ne me mêler absolument de rien que de faire des vœux pour la prospérité de la France, et de mériter l’estime de celui dont je respecte les lumières autant que la personne.


3469. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
2 décembre.

Ne pourriez-vous point, mon cher ange, faire tenir à M.  l. de B.[2] la lettre que je vous écris ? Vous me feriez grand plaisir. Serait-il possible qu’on eût imaginé que je m’intéresse au roi de Prusse ? J’en suis pardieu bien loin. Il n’y a mortel au monde qui fasse plus de vœux pour le succès des mesures présentes. J’ai goûté la vengeance de consoler un roi qui m’avait maltraité ; il n’a tenu qu’à M.  de Soubise que je le consolasse davantage. Si on s’était emparé des hauteurs que le diligent Prussien garnit d’artillerie et de cavalerie, tout était fini. Le général Marschall entrait de son côté dans le Brandebourg. Nous voilà renvoyés bien loin, avec une honte qui n’est pas courte. Figurez-vous que, le soir de la bataille, le roi de Prusse, soupant dans un château voisin chez une bonne dame, prit tous ses vieux draps pour faire des bandages à nos blessés. Quel plaisir pour lui ! que de générosités adroites, qui ne coûtent rien et qui rendent beaucoup ! et que de bons mots, et que de plaisanteries ! Cependant je le tiens perdu si on veut le perdre et se bien conduire. Mais qu’en reviendra-t-il à la France ? de rendre l’Autriche plus puissante que du temps de Ferdinand II, et de se ruiner pour l’agrandir ! Le cas est embarrassant. Point de Fanime quand on nous bat et

  1. Valet vêtu de gris, sans livrée.
  2. L’abbé de Bernis.