Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome39.djvu/327

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bataille meurtrière et décisive qui nous venge et qui redouble notre bonté ? Les Français sont heureux d’avoir de tels alliés. Si le roi de Prusse avait les mains libres, je plaindrais fort de pauvres troupes éloignées de leur pays, n’ayant point de maréchal de Saxe à leur tête, et ayant appris à faire très-mal le pas prussien, tout étourdis et tout sots de paraître devant leurs maîtres, qui leur enseignent le pas redoublé en arrière. Le roi de Prusse m’avait écrit, trois jours[1] avant la bataille du 5 :


Quand je suis voisin du naufrage,
Je dois, en affrontant l’orage,
Penser, vivre, et mourir en roi.


Nous n’avons pas voulu qu’il mourut ; mais les généraux autrichiens le veulent. Portez-vous bien, madame, vous et votre digne amie. Mme  Denis, qui se porte mieux, vous présente ses obéissances très-humbles.


3474. — À M.  D’ALEMBERT.
Aux Délices, 6 décembre.

Je reçois, mon très-cher et très-utile philosophe, votre lettre du 1er de décembre. Je ne sais si je vous ai assez remercié de l’excellent ouvrage[2] dont vous avez honoré la mémoire de Dumarsais, qui sans vous n’aurait point laissé de mémoire ; mais je sais que je ne pourrai jamais vous remercier assez de m’avoir appuyé de votre éloquence et de vos raisons, comme on dit que vous l’avez fait à propos du meurtre infâme de Servet, et de la vertu de la tolérance, dans l’article Genève. J’attends ce volume avec impatience. Des misérables ont été assez du vie siècle pour oser, dans celui-ci, justifier l’assassinat de Servet ; ces misérables sont des prêtres[3]. Je vous jure que je n’ai rien lu de ce qu’ils ont écrit ; je me suis contenté de savoir qu’ils étaient l’opprobre de tous les honnêtes gens. L’un de ces coquins a demandé au conseil des Vingt-Cinq de Genève communication de ce procès qui rendra Calvin à jamais exécrable ; le conseil a regardé cette demande comme un outrage. Des magistrats détestent le crime auquel le fanatisme entraîna leurs pères, et des prêtres veulent canoniser ce crime ! Vous pouvez compter que ce dernier trait

  1. Lisez vingt-sept jours.
  2. Voyez la lettre 3467.
  3. Jacob Vernet était du nombre de ces prêtres. (Cl.)