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3500. — À M.  VERNES.
À Lausanne, 29 décembre.

Oui, je vous tiens, mon ami, et, tout jeune que vous êtes, je vous fais mon prêtre. Je signe votre profession de foi[1], à condition que ni vous ni votre aimable Arabe[2] vous n’y changerez jamais rien, et que vous ne mettrez jamais, comme milord[3] Pierre, ni nœud d’épaule ni ruban sur votre bel habit uni.

Ayez la bonté de me garder les grands hommes lyonnais[4] jusqu’à mon retour. Le grand homme du jour[5] m’a fait faire des compliments, et va peut-être donner une nouvelle bataille pour ses étrennes. Il est vrai qu’il a fait conduire à Spandau[6] le théologien de Prades, qu’il a soupçonné d’avoir eu quelque commerce avec la pauvre reine de Pologne. Je ne sais si de Prades l’a confessée et communiée ; mais avouez que c’est une singulière destinée pour un gentilhomme bordelais d’être excommunié à Paris, chanoine en Silésie, et prisonnier à Spandau. Que ne venait-il sur les bords de mon lac ! Il aurait signé votre Catéchisme, et aurait vécu paisiblement.

Or çà, carissime frater in Deo, et in Serveto, êtes-vous bien fâché, dans le fond du cœur, qu’on dise dans l’Encyclopédie que vous pensez comme Origène, et comme deux mille prêtres qui signèrent leur protestation contre le pétulant Athanase ? le bonhomme Abauzit[7] ne rit-il pas dans sa barbe ? Vous voilà bien malade que quelques gros Hollandais vous traitent d’hétérodoxes ! Serez-vous bien lésés quand on vous reprochera d’être des infâmes, des monstres, qui ne croient qu’un seul Dieu plein de miséricorde ? Allez, allez, vous n’êtes pas si fâchés. Soyez comme Dorine qui aimait Lycas, comme vous devez le savoir. Lycas s’en vanta, et Dorine, qui en fut bien aise, dit :

  1. Le Catéchisme d’Ostervald, corrigé et amélioré par Jacob Vernes.
  2. Abauzit ; voyez la fin de la lettre 3492.
  3. Voyez la lettre précédente.
  4. Recherches pour servir à l’histoire de Lyon, ou les Lyonnais dignes de mémoire, 1757, deux volumes petit in-8°, ouvrage de Jacques Pernetti, né en 1696, mort en 1777.
  5. Frédéric, qui avait gagné les batailles de Rosbach et de Lissa, les 5 novembre et 5 décembre.
  6. Bastille prussienne. — L’abbé de Prades n’y était pas renfermé. Il avait la ville de Magdebourg pour prison. (B.)
  7. Voyez la lettre 3492.