Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome39.djvu/372

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plus sur tous ces objets, et je feins d’ignorer leurs cris. Comme je ne doute pas que ma réponse à M.  Tronchin ne m’attire une seconde lettre, je ferai ce que vous me conseillez, et je leur répondrai que vous voulez bien vous charger de finir cette affaire. Je vous prie donc, en cas de nouvelles plaintes de leur part, de leur signifier : 1° que je n’ai rien avancé dans l’article Genève que je n’aie recueilli de leurs conversations, et de l’opinion qui m’a paru générale à Genève sur la manière actuelle de penser du clergé ; 2° que ce n’est point, par conséquent, un secret que j’ai violé, puisque c’est une chose avouée de tout le monde, et que d’ailleurs ce n’est point tête à tête, mais en présence de témoins, que j’ai eu des conversations avec eux ; 3° que, bien loin d’avoir eu dessein de les offenser par ce que j’ai dit, j’ai cru au contraire leur faire honneur, persuadé comme je suis que, de toutes les sociétés séparées de l’Église romaine, les sociniens sont les plus conséquents, et que, quand on ne reconnaîtra, comme font les protestants, ni tradition ni autorité de l’Église, la religion chrétienne doit se réduire à l’adoration d’un seul dieu, par la médiation de Jésus-Christ.

On m’assure que ces messieurs vont envoyer une députation à la cour de France pour m’obliger de me rétracter. Je ne sais si la cour leur fera l’honneur de les écouter, ni ce qu’elle exigera de moi ; mais je sais bien que je ne répondrai jamais autre chose que ce que vous venez de lire. Savez-vous, pour comble de sottise, que cet article Genève a pensé être dénoncé au parlement, à ce parlement plus intolérant et plus ridicule encore que le clergé qu’il persécute ? On prétend que je loue les ministres de Genève d’une manière injurieuse à l’Église catholique. Ce qui doit pourtant me rassurer, c’est que j’ai trouvé d’honnêtes prêtres de paroisse qui regardent ce même article comme fort avantageux à l’Église romaine, parce que j’y prouve, disent-ils, par les faits, ce que Bossuet a démontré par le raisonnement, que le protestantisme mène au socinianisme. Tout cela n’est-il pas bien plaisant ?


On ne peut s’empêcher d’en pleurer et d’en rire[1].


J’ai reçu vos deux articles Habile et Hauteur[2] avec leurs dérivés ; je vous en remercie de tout mon cœur, et je vous enverrai au premier jour, sous enveloppe, l’article Histoire ; mais vous pouvez ne vous pas presser sur le reste. J’ignore si l’Encyclopédie sera continuée ; ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle ne le sera pas par moi. Je viens de signifier à M.  de Malesherbes et aux libraires qu’ils pouvaient me chercher un successeur. Je suis excédé des avanies et des vexations de toute espèce que cet ouvrage nous attire. Les satires odieuses et même infâmes qu’on publie contre nous, et qui sont non-seulement tolérées, mais protégées, autorisées, applaudies, commandées même par ceux qui ont l’autorité en main ; les sermons, ou plutôt les tocsins qu’on sonne à Versailles contre nous, en présence du roi, nemine reclamante, l’inquisition nouvelle et intolérable qu’on veut exercer contre l’Encyclopédie, en nous donnant de nouveaux censeurs plus absurdes et plus intraitables

  1. Regnard, Folies amoureuses, acte II, scène vi.
  2. Voyez tome XIX, pages 324 et 327.