Votre lettre du 14 mars, mon cher et ancien ami, m’a fait un grand plaisir ; mais il y a un article qui me fait bien de la peine : je vois avec douleur que le marquis d’Adhémar fait courir les
- ↑ Éditeurs, de Cayrol et François.
Et si son vol est téméraire,
Dès qu’elle t’a déjà su plaire,
Que risque-t-elle à s’y livrer ?
Depuis qu’au pays de la feinte
Un vif penchant me fait errer,
Sans cesse une importune crainte
Devant moi venait se montrer.
Aujourd’hui la douce espérance
Y guide, y ranime mes pas ;
Je cède aux séduisants appas
D’une trop flatteuse indulgence.
Eh, comment ne s’enivrer pas
D’un encens que la main dispense ?
Je n’ai pas les charmants pinceaux
De l’ami de La Sablière ;
Mais sur l’homme et sur ses défauts,
Je puis, dans de riants tableaux.
Répandre à mon tour la lumière,
Et, du sceptre jusqu’au rabot,
Prouver à l’homme qu’il est sot.
Tous les animaux, dans mes fables,
Lions, fourmis, aigles, moineaux.
Peuvent, par quelques traits nouveaux.
Trahir l’orgueil de mes semblables.
Ta voix a chanté des héros ;
Mais qu’il soit d’Athène ou de Rome,
De Pétersbourg ou de Paris,
Tes philosophiques écrits
Font voir que tout héros est homme.
Écoutons ce rustre hébété
Que fait raisonner La Fontaine :
Il voudrait, plein de vanité,
Que celui qui créa le chêne.
Dans ses œuvres l’eût consulté.
L’homme est plus ou moins entêté
De quelque orgueilleuse faiblesse.
L’apologue fut inventé
Pour corriger avec adresse
Des grands l’insolente fierté,
Des flatteurs l’indigne bassesse.
Des petits l’indocilité.
Heureux si, plein d’un zèle extrême,
Sur les ridicules d’autrui,
Un auteur corrigeait lui-même
Les défauts qu’on remarque en lui !
Mais quoi que l’on en puisse dire,
Fier d’un si glorieux accueil.
On verra croître mon orgueil,
Si mes fables te font sourire.