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CORRESPONDANCE.

J’attends votre réponse, si le mémoire ci-joint vous agrée. Sinon, voulez-vous acheter ma terre purement et simplement ? Je la ferai grande ou petite comme vous le voudrez, soit en joignant divers biens assez considérables que j’ai aux environs, soit en les laissant solés. C’est une pièce à tiroir. Nous obtiendrons bien de l’abbé de Bernis la continuation du privilège. Il est votre confrère en Apollon. Quoi qu’il arrive de tout ceci, ce que je désire le plus est que le libre Suisse V. veuille bien me conserver autant de bienveillance qu’a pour lui d’estime et d’admiration le despotisé B.

M.  de Fautrière, retiré à Genève, me fait proposer un échange contre sa terre plus voisine des miennes de Bresse. Mais je n’ai pas une fort grande envie d’avoir affaire à lui.


3664. — À M.  PILAVOINE[1],
à surate.
Aux Délices, près de Genève, le 25 septembre.

Je suis très-flatté, monsieur, que vous ayez bien voulu, au fond de l’Asie, vous souvenir d’un ancien camarade. Vous me faites trop d’honneur de me qualifier de bourgeois de Genève. Tout amoureux : que je suis de ma liberté, cette maîtresse ne m’a pas assez tourné la tête pour me faire renoncer à ma patrie. D’ailleurs, il faut être huguenot pour être citoyen de Genève, et ce n’est pas un si beau titre pour qu’on doive y sacrifier sa religion. Cela est bon pour Henri IV, quand il s’agit du royaume de France[2], et peut-être pour un électeur de Saxe, quand il veut être roi de Pologne ; mais il n’est pas permis aux particuliers d’imiter les rois.

Il est vrai qu’étant fort malade je me suis mis entre les mains du plus grand médecin de l’Europe, M.  Tronchin, qui réside à Genève ; je lui dois la vie. J’ai acheté dans son voisinage, moitié sur le territoire de France, moitié sur celui de Genève, un domaine assez agréable, dans le plus bel aspect de la nature. J’y loge ma famille, j’y reçois mes amis, j’y vis dans l’abondance et dans la liberté. J’imagine que vous en faites à peu près autant à Surate ; du moins je le souhaite.

Vous auriez bien dû, en m’écrivant de si loin, m’apprendre si vous êtes content de votre sort, si vous avez une nombreuse

  1. Maurice Pilavoine, membre du conseil de compagnie des Indes, avait appris à balbutier du latin avec Voltaire. Il était probablement né à Surate, mais, en 1758, il habitait Pondichéry. (Cl.)
  2. Allusion au mot de Henri IV : Paris vaut bien une messe.