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ANNÉE 1758.

de Boileau, fait par le traiteur des Patis ou Paquis[1]. Les sujets ont effrayé mes chevaux avec de la mousqueterie et des grenades ; les filles m’ont apporté des oranges dans des corbeilles garnies de rubans. Le roi de Prusse me mande que je suis plus heureux que lui ; il a raison, si vous me conservez vos bontés, et si je ne suis jamais inquiété dans mon ancien dénombrement. Je vous présente mon respect.

Madame, je vous demande pardon de ne vous avoir présenté qu’un demi-cent d’épingles ; mais vous êtes la fille de mon intime ami, M.  de Crèvecœur[2]. Je n’ai plus le sou ; et vous pardonnerez la liberté grande. V.


Le propre jour de Noël. Cela fait souvenir
des Noëls bourguignons.


3729. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[3].
Aux Délices, près de Genève, 25 décembre.

Madame, que je plains Votre Altesse sérénissime, et qu’elle a besoin de toute la sérénité de sa belle âme ! Quoi ! sans cesse entre l’enclume et le marteau ! Obligée de fournir son contingent pour le malheur de son pays, entourée d’États dévastés, et n’ayant que des pertes à faire dans une confusion où il n’y a rien à gagner pour elle ! Où est le bel optimisme de Leibnitz ? Il est dans votre cœur, et n’est que là.

Le roi de Prusse me mande toujours qu’il est plus à plaindre que moi ; et il a très-grande raison. Je jouis de mes ermitages en repos, et il n’a des provinces qu’au prix du sang de mille infortunés. Au milieu des soins cruels qui doivent l’agiter sans cesse, il me paraît bien autrement touché de la mort de sa sœur que de celle de son frère. Votre Altesse sérénissime connaissait-elle Mme  la margrave de Baireuth ? Elle avait beaucoup d’esprit et de talents : je lui étais très-attaché, et elle ne s’est pas démentie un moment à mon égard. Vos vertus, votre mérite, vos bontés, font ma consolation et mon soutien, après la perte d’une princesse à qui j’avais les plus grandes obligations.

Je la suivrai bientôt ; ma caducité et mes continuelles infirmités ne me permettent pas d’espérer de pouvoir encore me

  1. Hameau voisin de Tournay.
  2. Voltaire avait connu, dès l’âge de sept ans, M.  de Crèvecœur, neveu de l’abbé de Saint-Pierre et père de Mme  de Brosses. (Note du premier éditeur.)
  3. Éditeurs, Bavoux et François.