Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome39.djvu/68

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contre vous. Il se dit citoyen de Montmartre[1], il mérite d’être citoyen d’une chiourme. Que comptez-vous faire, mon ancien ami, de l’édition de mes bagatelles ? Vous devriez bien venir voir l’auteur, et joindre votre portefeuille au mien. Nous pourrions faire quelque chose ensemble. Les Cramer ne se repentent pas de leur édition, quoiqu’il y en ait tant d’autres. Ils l’ont presque toute débitée en trois semaines ; je ne m’y attendais pas. L’Histoire générale mérite un peu plus d’attention ; on y joint le Siècle de Louis XIV, avec des additions et des notes qui sont assez curieuses. Vous ne nuiriez pas à cet ouvrage ; nous le reverrions ensemble. Mes nièces auraient soin de vous rendre votre séjour aux Délices digne du nom que ma maison ose porter. J’y jouis de la paix, j’y travaille à loisir : ce sont là les vraies délices. Je serais trop heureux si j’avais de la santé et l’ami Thieriot. Vale.

P. S. La lettre[2] à M.  le maréchal de Richelieu n’était pas assurément pour le public. Je ne l’ai communiquée à personne. S’il a fait voir mes prophéties, il les accomplira.


3188. — À M.  DUPONT.
Aux Délices, près de Genève, 20 (juin) 1756[3].

Je vous avais envoyé, mon cher ami, deux petits ouvrages assez tristes et assez conformes à l’état où doit être votre âme après la perte d’un jeune homme de si grande espérance, à qui vous étiez tendrement attaché[4]. Vous devez avoir reçu mes jérémiades, et vous devez sentir que le Tout est bien de Pope n’est qu’une plaisanterie qu’il n’est pas bon de faire aux malheureux. Or, sur cent hommes, il y en a au moins quatre-vingt-dix qui sont à plaindre. Tout est bien n’est donc pas fait pour le genre humain. Je suis honteux de dater ma lettre des Délices en écrivant à M.  de Klinglin. Mais enfin il faut bien que j’aie un port après avoir essuyé tant d’orages. Je suis très-aise d’être loin des jésuites et des médecins de Colmar. Ces charlatans-là nuisent au corps et à l’âme. Nous avons à présent un vrai médecin[5] qui est allé de Genève à Paris apprendre aux Français à préserver leurs enfants de la petite vérole en la leur donnant. Ce ne sont

  1. Voyez pages 43 et 50.
  2. Du 3 mai précédent, en prose et en vers.
  3. Placée par le premier éditeur et par Beuchot au 20 août, cette lettre, antérieure à la prise de Port-Mahon, ne peut être que du 20 juin au plus tard.
  4. Le second fils de M.  de Klinglin, attaqué d’une paralysie depuis longtemps.
  5. Le docteur Tronchin.